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GRANDGOUJON

— Non, reprit Colomb, puisqu’il faut lutter !

— Eh bien oui, dit Grandgoujon, mais tant de gens répètent qu’on est dans une panade !…

— Panade ?… Je ne vois aucune panade !

— Ah ! fit Grandgoujon dans un élan, j’ai besoin de voir un type comme toi ! Tu es mon type, toi ! Je t’admire !

Ils sortirent du café. Colomb était peut-être plus gaillard après ces paroles d’enthousiasme ; en tout cas, il marchait avec plus de dignité. Et au bout de cinquante mètres, comme s’il lui avait fallu cet espace pour réfléchir, il dit à Grandgoujon :

— Le seul malheur pour vous…

— D’abord, tutoie-moi ! fit Grandgoujon. Pour la cinquantième fois, pour l’amour de Dieu et des hommes, tutoie-moi !

— Le malheur, reprit Colomb, c’est que, dans mes paroles comme dans mon allure, dans ma façon d’être, dans tout… je sens que je dois vous… je dois te… te sembler un peu maigre !

— Maigre ? balbutia Grandgoujon.

Ah ! il en eut un rire de gorge, qu’il accompagna d’un vaste geste protecteur et bon enfant, pour dire en bloc toute son amitié si confiante :

— Maigre ?… Et après ? Qu’est-ce que ça peut me fiche, à moi, que tu sois maigre ! Tu as un cœur de gros !