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GRANDGOUJON

Paroles banales, que tant de femmes ont dites, mais touchantes dans la bouche de Madame Grandgoujon : sa figure chagrine disait son atterrement.

Elle était toute tendresse, aussi prête à pleurer qu’à rire, et si fortement menée par ses sentiments qu’avec l’âge elle montrait un visage tourmenté d’émotions, un peu comique et boursouflé, où des pommettes luisantes mettaient une lueur curieuse, du feu dans la gaîté, de l’acuité dans la peine. — Sur le front — « pour meubler les espaces chauves » comme elle disait, elle portait un devant de cheveux châtains, tirant sur le jaune-vert, et toujours posé n’importe comment : à son âge, elle ne faisait plus attention à elle, malgré les protestations affectueuses de son fils. Enfin son pas de rhumatisante suivait la marche de ses pensées : tangage par lequel, cahin-caha, elle avançait. Mais elle se sentait toujours capable de rendre service ; il n’y avait donc pas péril en la demeure. Son fils n’était pas assis qu’elle se levait, heureuse de s’empresser, de se dévouer, de cuisiner, de grimper dans l’office, et souvent elle restait sur son escabeau, les jambes raidies par une crampe. Alors, avec un rire, elle appelait :

— Tu viens m’aider ?

— Oh ! disait Grandgoujon, qu’est-ce que tu cherches encore ?

— Une surprise…

Elle portait des chapeaux qui, jamais, ne lui tenaient à la tête. Sur son corsage pendait un lorgnon qui s’accrochait et se tordait ; toujours