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Toi, Maître, quels sommets te fallut-il gravir,
Quel immense ouragan parfois dut te ravir
Loin du monde réel, — quels éclairs de leur flamme
Entrouvrir à tes yeux ces arcanes de l’âme
Où la passion lutte et pleure, aigle ou vautour,
Pour que ton cœur ait pu nous jeter, tour à tour,
Avec cette suave ou terrible harmonie,
Et ces hymnes d’extase et ces cris d’agonie !
Qu’il t’a fallu souffrir, aimer, douter, pleurer,
Dans le silence obscur des nuits désespérer :
Quel effort surhumain, de sueurs solitaires
Dut inonder ton crâne et raidir tes artères,
Dans ta lutte avec l’Ange où plus d’un succomba,
Pour être avec Jacob triomphant du combat,
Pour trouver ces accents de ta grande Neuvième,
Où ton génie altier atteint son vol suprême ;
Concert où l’on entend, comme le bruit des flots,
Gronder, rire, chanter, se plaindre en longs sanglots,
Tout ce qui peut jamais, si grand qu’on la renomme,
S’agiter dans la tête et dans le cœur d’un homme
— Le superbe défi de l’âpre volonté
Foulant d’un pied vainqueur l’obstacle surmonté ;
La noble ambition que le monde humilie :
L’amour qui dans sa coupe enfin trouve la lie,
Et l’ironie au rire amer, masque moqueur
Qu’on met sur son visage, alors qu’au fond du cœur
La chaste illusion pose, belle éplorée,
Et clôt dans le cercueil sa chimère adorée !