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Tel qu’un peintre à sa toile, épris de son modèle,
Rêveur, il s’asseyait à son piano fidèle. —
— Les visions du jour, sous son crâne inspiré,
Panorama chantant revivant par degré,
Comme un vin généreux des raisins mûrs qu’on foule,
En hymnes éclatants de lui sortaient en foule,
Et du clavier sonore, où palpitaient ses mains,
À pleins bords jaillissaient des accents surhumains ;
Par son art magistral les phrases cadencées,
Oiseaux de paradis, traduisaient ses pensées,
Et de leurs ailes d’or les ombres par instants
Venaient se refléter aux fronts des assistants ;
Selon qu’il célébrait la douleur ou la joie,
La tempête sinistre ou l’aube qui rougeoie,
De ses chants, tour à tour sombres ou pleins d’attraits
Les visibles échos se peignaient sur leurs traits.
De plus près ses amis, retenant leurs haleines,
L’entouraient, — et, pareils à des urnes trop pleines,
Par son puissant génie enlevés jusqu’aux cieux,
Épanchaient leur extase en pleurs silencieux.
Sur les touches d’ivoire alors ses mains moins vives
Ralentissaient leur jeu splendide, — ses convives
Tout-à-coup le voyaient pâlir, son œil profond,
Tout plein de désespoir, se fixer au plafond,
Et ses bras dans le vide en frissonnant s’étendre
Vers une ombre qu’en vain il s’efforçait d’entendre !

Adieu la Mélodie ! adieu pour tout jamais