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Heureux, trois fois heureux ! dira-t-on, le génie
Qui trouve au fond de soi ces trésors d’harmonie,
Et fait, par mille accords de voix et d’instruments,
Éclater tout un peuple en applaudissements,
Mieux qu’aux temps orageux, dans Rome ou dans Athènes,
L’éloquent Cicéron, le puissant Démosthènes ;
Mieux qu’un tragédien qui nous montre vivant,
Par son air, sa parole et par son jeu savant,
Un des types sortis des mains du grand Shakspeare ;
Jamais triomphateur, au faîte de l’empire
Majestueusement traîné par huit chevaux,
Jamais poète illustre, au milieu des bravos,
Le laurier sur le front ainsi qu’une auréole,
Descendant à pas lents du haut du Capitole,
N’ont d’une multitude en pompeux appareil
Goûté d’enthousiasme à celui-là pareil :
Un tel enivrement touche à l’apothéose ;
L’homme s’évanouit ; le maître grandiose
Apparaît, ceint d’éclairs, dans un nimbe sacré,
Et plus d’un jeune artiste au regard inspiré
Qui cherche encor sa voie, avec un œil d’envie
Contemple son image. — A-t-il fouillé sa vie ?
— Sur les marches du trône où siège, radieux,
Ce César, empereur parmi les demi-dieux,
Voit-il encor percer l’ancien débris des claies ?
Sous son manteau de pourpre a-t-il compté ses plaies ?
A-t-il vu, l’entravant dans ses jeunes travaux,
L’infâme chausse-trape, où d’impuissants rivaux