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Patience ! ce soir nous nous verrons à table ;
Il y fera plus frais.

Mais de longues rumeurs
Montent depuis un temps du côté des glaneurs.
Le jeune maître y court, et Noëmi, plus lente,
Le suit d’un pas tardif et la tête branlante.
Là, mendiants, boiteux, vieilles aux cheveux gris
Assaillaient la négresse et Jaïd de leurs cris.
Obed presse le pas, Jaïd le voit, s’élance,
Et les mains sur le front se prosterne en silence.
Le jeune homme s’arrête, et l’enfant, à genoux,
S’écrie enfin : Seigneur ! parlez, défendez-nous.
Du pays de Moab, venue avec ma mère,
J’ai cru pouvoir ici glaner, quoique étrangère ;
Mais dès-lors que Juda vit seul de vos rebuts,
Seigneur, pardonnez-moi : vous ne me verrez plus.

— Quoi ! c’est vous, dit Obed, qu’une foule maudite
Ose écarter du champ de Ruth la Moabite !
Où donc est votre mère ? Il faut que, dès ce soir,
Ma mère et moi puissions lui parler et la voir.
Amenez-la chez nous, et la noire avec elle ;
Mais, avant de partir, prenez cette javelle.

Il dit ; l’enfant reçoit les épis dans ses bras
Et s’enfuit, rougissant de joie et d’embarras ;
La négresse la suit, mais sa part est plus large ;
Elle rit cependant de ployer sous la charge,
Tandis que des glaneurs courroucés ou surpris
Le vent lui porte encor la menace et les cris.

IV



Noëmi, cependant, pensive et tout émue,
Retourne à la maison ; Ruth s’étonne à sa vue :
— Qu’est-il donc arrivé, dit-elle, à la moisson ;
Ne surveillez-vous plus notre jeune garçon ?

— Le fils, dit Noëmi, sera digne du père ;
Mais, ou mon cœur me trompe, ou la sœur de sa mère,
Parmi les moissonneurs que nous fêtons ce soir,
Ne sera pas, ici, la dernière à s’asseoir.

— Ma sœur ici ! dit Ruth, que fera la jeunesse,
Si le déclin de l’âge a si peu de sagesse ?
Vous-même, hier encor, vous m’aidiez à bannir