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Cet espoir insensé qui vit de souvenir.
Ou les trois messagers que j’envoyai près d’elle
Ne m’ont donné d’Orpha qu’une fausse nouvelle,
Ou, comme ils nous l’ont dit en revenant, ma sœur
Vit pauvre dans Moab, épouse d’un chasseur ;
Voilà pourquoi souvent, riche, heureuse, honorée,
Mon sommeil, dans Juda, rêve une autre contrée.
Que ne puis-je la voir ! que n’ai-je pu, du moins,
De ma sœur plus souvent alléger les besoins !
Mais je dois à mon fils garder son héritage ;
Lui-même, un jour, peut-être il fera davantage.

— Il le fera sans doute, et peut-être aujourd’hui.
Ainsi que de son père attendons tout de lui.
Noëmi parle ainsi ; Ruth, secouant la tête,
S’éloigne et va pourvoir aux apprêts de la fête,
Car le soleil décline, et des lourds chariots,
Du côté de la plaine, on entend les cahots.
Déjà le bœuf mugit, et la voix de l’ânesse
Se mêle aux cris joyeux de toute une jeunesse
Qui des fleurs dans les mains, cortège gracieux,
Des chariots penchants fait crier les essieux.
Obed paraît enfin, et la foule empressée
Entre dans le courtil, où la table dressée
Se reploie en croissant, éblouissante à l’œil,
Car Ruth à la dresser a mis tout son orgueil.
Au centre sont placés les joueurs de cinnore,
De qui l’ivresse même en rhythmes s’évapore,
Tandis qu’à chaque bout les serviteurs nombreux
Pourront s’asseoir à l’aise et s’égayer entre eux.
Ruth fait honneur à tous, Noëmi la seconde,
Et bientôt le signal est transmis à la ronde.
Seul, un groupe timide aux portes arrêté,
Hésite, car les chiens, flairant sa pauvreté,
L’assaillent à grands cris ; mais Obed, à voix basse
Et le visage en feu, parle à Ruth, qui l’embrasse ;
— Va, dit-elle, et commande ici jusqu’à demain.

Il s’élance, et bientôt ramène par la main
Jaïd. Orpha les suit, dérobant son visage
Sous le lin dont Moab garde l’antique usage.
Ses yeux creux, dans leur ombre aperçus à demi,
Erraient avidement de Ruth à Noëmi.

Ruth accueille Jaïd et bientôt l’interroge,
Emmiellant son discours de caresse ou d’éloge.