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L'ANARCHIE

der grâce ; disant à chaque crachat qu’il reçoit, à chaque coup de poing qu’on lui applique : Vous vous conduisez mal envers moi, vous n’êtes pas justes, je n’ai rien fait pour vous fâcher ; et discutant bêtement, comme pour les légitimes, les invectives qui lui sont adressées : Je ne suis pas un voleur, je ne suis pas un assassin, je ne suis point un incendiaire ; je vénère la religion, j’aime la famille, je respecte la propriété ; c’est plutôt vous qui faites mépris de toutes ces choses. Je suis meilleur que vous et vous m’opprimez ! Vous n’êtes pas généreux.

Ce terre à terre m’indigne !

Contre des polémistes pareils à ceux que je rencontre dans l’opposition je comprends la brutalité du pouvoir ; je la comprends, car, après tout, quand le faible est abject on peut oublier sa faiblesse pour ne se souvenir que de son abjection ; or, l’abjection est une chose irritante, comme ce qui rampe et qu’on broie sous le pied, comme on écrase un ver de terre. Ce que je ne comprends pas dans un groupe d’hommes qui s’intitulent démocrates et qui parlent au nom du Peuple, principe de toute grandeur et de toute dignité, c’est l’abjection.

Celui qui parle au nom du peuple, parle au nom du droit ; or, je ne comprends pas que le droit s’irrite, je ne comprends pas davantage qu’il daigne discuter avec l’erreur, à plus forte raison dois-je ne pas comprendre qu’il puisse descendre jusqu’à la plainte et à la supplique. On subit l’oppression, mais on ne discute pas avec elle quand on veut qu’elle meure ; car discuter c’est transiger.

Le pouvoir est institué ; vous vous êtes donné un maître ; vous vous êtes mis (tout le pays, par vos adorables conseils et par votre initiative, s’est mis), à la disposition de quelques hommes ; ces hommes usent de la puissance que vous leur avez donnée ; ils en usent contre vous et vous vous plaignez ? Pourquoi ? Est-ce que vous aviez pensé qu’ils allaient s’en servir contre eux-mêmes ? Vous n’avez pas pu penser ceia ; qu’avez-vous des lors à blâmer ? La puissance doit nécessairement s’exercer au profit de ceux qui l’ont et au préjudice de ceux qui ne l’ont pas ; il n’est pas possible de la mettre en mouvement sans nuire d’une part et favoriser de l’autre.

Que feriez-vous si vous en étiez investis ? Ou vous n’en useriez pas du tout, ce qui serait renoncer purement et simplement à l’investiture ; on vous en useriez à votre bénéfice et au détriment de ceux qui l’ont maintenant et qui ne l’auraient plus alors vous cesseriez de geindre, de pleurnicher et de demander grâce pour prendre le rôle de ceux qui vous insultent et pour leur passer le vôtre mais que me fait à moi, Peuple, qui n’ai jamais le pouvoir et qui, cependant, le fais ; à moi, qui paie sang et argent à l’oppresseur, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne, et qui suis toujours l’opprimé de quelque façon que la chose retourne ; que me fait à moi cette bascule qui, tour à tour, abaisse et exalte la couardise et l’abjection ? Qu’ai-je à dire touchant le gouvernement et l’opposition, sinon que celle-ci est une tyrannie en surnumérariat, et que celui-là est une tyrannie en exercice ? Et en quoi me convient-il de mépriser moins ce champion-ci que l’autre, quand tous les deux ne s’occupent que d’édifier leurs plaisirs et leurs fortunes sur mes douleurs et ma ruine ?

CHAPITRE VI.

LE POUVOIR, C’EST L’ENNEMI.


Il n’y a pas un journal en France qui ne couve un parti il n’y a pas