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DE LA BERGERIE.

Puis me baiſe & me preſſe & nous entrelaſſon,
Comme autour des ormeaux le lierre ſe plie.

Deſgraffe ce colet, m’amour, que ie manie
De ton ſein blanchiſſant le petit mont beſſon :
Puis me baiſe & me preſſe, & me tien de façon
Que le plaiſir commun nous enyvre ma vie,

L’un va cerchant la mort aux flancs d’une muraille,
En eſcarmouche, en garde, en aſſaut, en bataille,
Pour acheter un nom, qu’on ſurnomme l’honneur :

Mais moy ie veux mourir ſur tes levres, maiſtreſſe.
C’eſt ma gloire, mon heur, mon threſor, ma richeſſe,
Car i’ay logé ma vie en ta bouche, mon Cœur.


Embraſſe moy, mon Cœur, baiſe moy ie t’en prie,
Preſſe moy, ſerre moy, à ce coup ie me meurs,
Mais ne me laiſſe pas en ces douces chaleurs,
Car c’eſt à ceſte fois que ie te pers, ma vie.

Mon amy ie me meurs, & mon ame aſſouvie
D’amour, de paſſions, de plaiſirs, de douceurs,
S’enfuit, ſe perd, s’eſcoule, & va loger ailleurs,
Car ce baiſer larron me l’a vrayment ravie.

Ie paſme, mon amy, mon amy ie ſuis morte :
Hé ! ne me baiſez plus, au moins en ceſte ſorte,
C’eſt ta bouche, mon Cœur, qui m’avance ma mort.

Oſte-la donc, m’amour, oſte-la, ie me pâme,
Oſte-la, mon amy, oſte-la, ma chère ame,
Oo me laiſſe mourir en ce plaiſant effort.


 
ie vey, n’a pas long temps, le portrait ſi bien fait
Et ſi, bien retiré de ma fiere adventure.
Son viſage ſi beau, que la gente nature
Pour y prendre plaiſir en feroit un plus lait.

Ie vey ce ſront, ce poil ſi tres-bien contrefait,
Ceſt œil ſi bien rendu, qu’en ſa morte pointure
Il me faiſoit trembler de ſa feinte peinture,
Ne luy reſtant que l’ame à fin d’eſtre parfait.