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plus celui qui en est le témoin, que celui qui la souffre ; parce que le premier considère la somme de tous les moments malheureux, & le second est distrait de l’idée de son malheur futur par le sentiment de son malheur présent. Tous les maux s’agrandissent dans l’imagination, & celui qui souffre, trouve des ressources & des consolations que les Spectateurs de ses maux ne connaissent point, & ne peuvent croire, parce que ceux-ci jugent d’après leur propre sensibilité, de ce qui se passe dans un cœur devenu insensible par l’habitude du malheur.

Je sais que c’est un art difficile & que l’éducation seule peur donner, que de développer les sentiments de son propre cœur. Mais, quoique les scélérats ne puissent rendre compte de leurs principes, ces principes ne les conduisent pas moins. Or voici à peu près le raisonnement que fait un voleur ou un assassin qui n’est détourné du crime que par la crainte de la potence ou de la roue. « Quelles sont donc ces lois qu’on veut que je respecte, & qui mettent une si grande différence entre moi & un homme riche ? Il me refuse un léger secours que je lui demande, & il me renvoie à un travail qu’il n’a jamais connu. Qui les a faites ces lois ? Les Riches & les Grands, qui n’ont jamais daigné entrer dans la chaumière du pauvre, & qui ne lui ont jamais