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la crainte est le dominant, parce qu’il est le seul. Dans le premier cas, il arrive au spectateur du supplice la même chose qu’au spectateur d’un Drame ; & comme l’avare retourne à son coffre, l’homme violent & injuste retourne à ses injustices.

Afin qu’une peine soit juste, elle ne doit avoir que le degré d’intensité qui suffit pour éloigner les hommes du crime. Or je dis qu’il n’y a point d’homme, qui avec un peu de réflexion puisse balancer entre le crime, quelque avantage qu’il s’en promette, & la perte entière & perpétuelle de sa liberté. Donc l’intensité de la peine d’un esclavage perpétuel a tout ce qu’il faut pour détourner du crime l’esprit le plus déterminé, aussi bien que la peine de mort. J’ajoute qu’elle produira cet effet encore plus sûrement. Beaucoup d’hommes envisagent la mort d’un œil ferme & tranquille, les uns par fanatisme, d’autres par cette vanité qui nous accompagne au-delà même du tombeau ; d’autres par un dernier désespoir qui les pousse à sortir de la misère, ou à cesser de vivre. Mais le fanatisme & la vanité abandonnent le criminel dans les chaînes, sous les coups, dans une cage de fer ; & le désespoir ne termine pas ses maux, mais les commence. Notre âme résiste plus à la violence & aux dernières douleurs qui ne sont que passagères, qu’au temps & à la continuité de l’ennui ;