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entre les mains du Souverain ; où les richesses ne peuvent acheter que des plaisirs & non du pouvoir ; il ne peut y avoir aucune nécessité d’ôter la vie à un citoyen.

Quand l’expérience de tous les siècles ne prouverait pas que la peine de mort n’a jamais empêché les hommes déterminés de nuire à la Société ; quand l’exemple des Romains ; quand vingt années de règne de l’Impératrice de Russie, Elizabeth, donnant aux Pères des peuples un exemple plus beau que celui des plus brillantes conquêtes ; quand tout cela, dis-je, ne persuaderait pas les hommes à qui le langage de la raison est toujours suspect, & qui se laissent plutôt entraîner à l’autorité ; il suffirait de consulter la nature de l’homme, pour sentir cette vérité.

Ce n’est pas l’intensité de la peine qui fait le plus grand effet sur l’esprit humain, mais sa durée : parce que notre sensibilité est plus facilement & plus durablement affectée par des impressions faibles, mais répétées, que par un mouvement violent, mais passager. L’empire de l’habitude est universel sur tout être sensible ; & comme c’est elle qui enseigne à l’homme à parler, à marcher, à satisfaire ses divers besoins, ainsi les idées morales se gravent dans l’esprit humain par des impressions répétées. La mort d’un scélérat sera par cette raison un frein moins puissant du crime, que le long & durable