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Comme toutes les parties du monde phyſique, la ſociété a dans elle-même un principe de diſſolution, dont l’action ne peut être arrêtée dans ſes effets que par des motifs qui frappent immédiatement les ſens. L’éloquence & les vérités les plus ſublimes ne peuvent mettre un frein aux paſſions excitées par les impreſſions fortes des objets ſenſibles. On ne peut les combattre que par des impreſſions de même eſpèce, qui ſoient continuellement préſentes à l’eſprit, & qui contrebalancent les paſſions particulières ennemies du bien général. C’est donc la néceſſité ſeule qui contraignit chaque homme à céder une portion de ſa liberté, d’où il ſuit que chacun n’en a voulu mettre dans le dépôt commun que la plus petite portion poſſible, la ſeule partie dont le ſacrifice étoit néceſſaire pour engager des aſſociés à le maintenir dans la poſſeſſion du reste. L’aſſemblage de toutes ces portions de liberté, les plus petites que chacun ait pu céder, est le fondement du droit de punir de la ſociété. Tout exercice du pouvoir qui s’étend au-delà de cette baſe eſt abus, & non justice ; est un fait, & non un droit.[1]

  1. Il eſt néceſſaire d’obſerver que le terme droit n’est pas contradictoire au mot force. Le droit est plutôt une modification de la force ; c’eſt la reſtriction la plus utile au plus grand nombre, de la force de chacun. Par juſtice, je n’entends rien autre choſe que le lien néceſſaire pour réunir les intérêts par-