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aux beſoins qui devenoient tous les jours plus nombreux, & ſe croiſoient en mille manières, les premiers hommes ſe virent forcés de ſe réunir. Quelques ſociétés étant formées, il s’en établit bientôt de nouvelles pour réſiſter aux premières, & l’état de guerre entre les nations ſuccéda à celui qui avoit été entre les individus.

Les loix furent les conditions ſous leſquelles les hommes auparavant indépendans & iſolés ſe réunirent en ſociété. Las d’un état de guerre continuel, & d’une liberté qui leur devenoit inutile par l’incertitude de la conſerver, ils en ſacrifierent une partie pour jouir du reste avec plus de sûreté. La ſomme de toutes ces portions de liberté forma la Souveraineté de la nation qui fut miſe en dépôt entre les mains du Souverain, & confiée à ſon administration. Mais il ne ſuffiſoit pas d’établir ce dépôt, il falloit le défendre des uſurpations de chaque particulier qui s’efforce de retirer de la maſſe commune, non-ſeulement ſa propre portion ? mais encore celle des autres : il falloit des motifs ſenſibles & ſuffisans pour empêcher le deſpotiſme de chaque particulier de replonger la ſociété dans ſon ancien cahos. Ces motifs furent des peines établies contre les infracteurs des loix. Je dis que ces motifs dûrent être ſenſibles, parce que l’expérience montre que la multitude n’adopte pas des maximes de conduite.