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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

nier coup de dé contre le hasard. Le passeux attachait alors sur Saint-Amand un regard épais, ébloui. Le babil bouffon du poëte le plongeait, à son insu, dans le même étonnement naïf que lui eussent causé Tabarin ou Gauthier Garguille.

— Bacchus a rarement trahi Saint-Amand, reprit l’étrange poëte : allons, mon gentilhomme, prenez-moi pour votre guide. Je suis un homme de plume, vous un César ; la cape et l’épée vont bien ensemble ! Encore un coup, ne vous noyez qu’après avoir vu Mariette. En attendant, voguons jusque-là à l’aide de ce brave passeux. Çà, mon laquais Mardochée est déjà loin…

Et comme l’étranger semblait encore hésiter :

— Ce n’est pas, reprit le poëte, un fils de la Gascogne que j’inviterais, croyez-le. Mais à votre teint, j’ai vu tout de suite que j’avais affaire à un enfant d’Espagne ou d’Italie. Or, ces deux pays sont les deux seuls créanciers que je reconnaisse. Nous autres poètes, nous leur empruntons beaucoup.

L’inconnu s’inclina et salua Saint-Amand d’un air railleur.

— Eh bien ! vous êtes décidé ?

— À découvrir par tous les moyens ce que je cherche, reprit l’Italien en attachant un regard fixe sur maître Gérard. Peut-être m’instruirai-je à la taverne de la Pomme de pin.

— Maître Caron, poursuivit Saint-Amand en s’adressant au passeux, songe à bien mener ta barque. Tu nous descendras, ce gentilhomme et moi, au pont Marie… Le cabaret de maître Philippe fait l’angle du quai des Ormes.

— Suffit, dit Gérard, ce n’est pas d’aujourd’hui que je connais la Pomme de pin. Seulement mon maître, ajouta à voix basse le passeux à l’Italien, ayez en ce lieu la bouche close ; observez-vous-y, c’est essentiel.

La barque fendit la Seine, et atteignit vite les arches noires du pont Marie…

Le poëte et l’inconnu sautèrent à terre ; à droite, devant