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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

Demain, il y a fête au palais de Son Éminence ; j’en sortirai à minuit. Ne manquez pas de vous trouver alors à la petite porte basse qui donne sur la rue des Bons-Enfants ; j’ai à vous y entretenir d’une chose qui peut faire votre fortune.

— Cela dit, il me quitta et se perdit bientôt dans l’ombre des ruelles qui entourent ma demeure. Je ne pense pas que le quidam ait voulu se jouer de moi. Mort et sang ! si je le savais !…

— Remettez-vous, capitaine, dit Saint-Amand avec ironie, le cardinal veut sans doute réparer ses torts… Allez à ce rendez-vous de la petite porte, vous serez là plus en sûreté que dans le bal même.

— Pourquoi cela ?

— Parce qu’à ce bal on pourrait bien dire des vers du Richelieu. Je vous vois lancé. Ce que c’est que d’applaudir à propos !

— Oui, parlez-en à votre aise ; que l’on m’y reprenne ! J’ai gardé le lit six mois.

— Je parie que le cardinal vous fera l’intendant de son théâtre. Si cela est, mon cher capitaine, conseillez-lui donc de le brûler.

Comme l’heure avançait, Saint-Amand engagea le capitaine à se hâter ; car les violons de Tiberio devaient, disait-il, commencer déjà la sarabande.

Brossant alors une dernière fois son feutre, et relevant les deux crocs de sa moustache capricante, la Ripaille sortit en serrant la main du poëte de M. le duc de Retz, lequel demanda à Mardochée, son valet, de l’encre et une plume, puis se mit à composer incessamment la satire du Poëte crotté. Saint-Amand y dépeignait l’équipage de maint auteur de son temps, traînant par les rues un roquet de bouracan rouge en guise d’habit, une plume de coq et des grègues trop longues d’une aune par un côté. La Ripaille, avec sa broche et son costume, n’était guère mieux mis, mais il ne tarda pas à voir s’ouvrir devant lui le Palais-