Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
158
LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

injure qui veut du sang ! Mais si le vôtre allait être versé, cher enfant ; si, pour me venger, vous deviez succomber dans cette rencontre ! Ah ! je le sens là aux battements de ce cœur, le remords, le remords seul deviendrait le compagnon, le tyran de mon existence ! Après tout, n’ai-je pas encore des parents à Ferrare, et faut-il que ce soit vous…

— Ce sera moi, madame, interrompit Charles avec fermeté, moi, que le comte Leo Salviati a bien voulu accepter, moi qui le tuerai ; oui, madame, je le tuerai.

Le visage de Charles, empreint d’une noble fierté, n’exprimait que trop sa résolution ; la duchesse, en le contemplant alors, en suivant les lignes énergiques de ce beau front, semblait retrouver d’autres souvenirs ; son âme se brisait à l’idée d’un malheur dont elle allait encore être la cause. N’était-ce point assez que le seul homme qu’elle avait aimé eût péri dans les cachots de Florence, et devait-elle donc retrouver, après quinze années de fuite et d’exil, une autre tombe entr'ouverte sur le sol natal ? Ce jeune homme l’avait sauvée, et c’était pour elle qu’il allait risquer ses jours, pour elle qui ne pouvait récompenser son amour que par la plus chaste et la plus dévouée des sympathies ! Teresina laissa tomber son regard voilé de pleurs sur Charles Gruyn.

— Un espion ! un espion ! n’ont-ils pas craint de m’écrire ! Ah ! le ciel a mis sur ce calme et doux visage la sincérité qui rassure. Non, il ne doit point affronter l’épée du comte, je saurai déjouer le plan impie qu’il a formé. Oui, dussé-je écrire à l’archiduc, dussé-je m’exiler de nouveau avec celui qui m’a ramenée ! Mais comment penser jamais à la France, moi que la haine de Richelieu y poursuit, moi que la reine ne saurait, hélas ! elle-même sauver ! Je suis condamnée à vivre toujours dans l’Italie, ma prison, prison cruelle, odieuse, où tout ne m’entretient que des douleurs, des calamités passées. Enchaînée par mes souvenirs, où trouverais-je jamais le repos ? quel être chéri me devra jamais le sien ? Je ne le sens que trop, Dieu a marqué fatalement