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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Rien qu’à voir cette femme, tout autre que le docteur eût alors été ému.

Les lignes de son visage revenaient de droit à cette aristocratie italienne, orgueilleuse du sang des Médicis, type hautain, sévère et presque perdu en France depuis la fin de la reine Catherine. La blancheur de cette peau égalait celle du camée ; ses cils abaissés, aussi noirs que l’aile d’un corbeau, cachaient alors le feu de son œil humide et nacré. Elle avait à peine trente et un ans, l’âge de la puissance et de l’empire chez la femme. Pendant que le vent d’hiver hurlait au dehors d’horribles cris, son silence au milieu de cette chambre silencieuse et verrouillée glaçait l’âme… Assoupie, vaincue par cet infernal breuvage, elle ne représentait plus qu’un cadavre…

Le docteur la regardait avec une ivresse froide et recueillie, comme l’aligator après avoir fasciné l’oiseau, comme le tigre éveillé auprès du pâtre endormi…

— Enfin, murmura-t-il en marchant d’un pas ferme vers la fenêtre du balcon.

Au bruit de l’espagnolette, Pompeo parut dans l’ombre.

— Bien, dit le masque à voix basse, fidèle au signal… je te reconnais… attends-moi !

Il rentra dans la chambre, saisit le voile noir qui couvrait la niche, et le noua sur la figure de la duchesse. Il tira ensuite sur elle les rideaux du lit.

— Maintenant cet homme peut entrer, dit-il en revenant au balcon.

Pompeo avait trouvé la porte de la maison fermée, il n’osait frapper ; le docteur arracha les damas de la fenêtre, et il les jeta à Pompeo.

L’Italien fut bien vite sur le balcon à l’aide de cette échelle improvisée…

— Pompeo, lui dit le docteur, nous n’avons pas un instant à perdre, le cardinal est pressé.

— Excellence, je suis à vos ordres, répondit Pompeo en déposant les deux sacs au milieu de l’appartement.