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L’EXPIATRICE

nous nous consolerons mutuellement »…

— Ce serait en effet charmant, au moins pour elle, admit Raymonde. Quant à nous, Élisabeth laissez-nous vous dire que nous ne sollicitons pas d’autres consolations que l’oubli.

Toute crispée, haletante, elle défiait du regard sa cousine et elle eût aimé griffer, faire mal, pouvoir décharger sur quelqu’un sa colère, car elle avait atrocement souffert par cet homme dont Élisabeth prétendait lui imposer la fille.

Mlle Dufresne songea. « Oui, ce serait votre devoir à vous surtout, Raymonde, de vous rapprocher de cette enfant. En même temps que vous adouciriez son existence, elle-même enrichirait la vôtre. Je sais qu’il y a, dans votre vie, un vide que rien n’a pu combler encore.

Elle n’eut pas le loisir d’exprimer cette pensée : redoutant quelque choc irréparable, la douce Noëlla intervenait.

— Je vous en prie, Élisabeth, supplia-t-elle, laissons ce sujet. Ma pauvre sœur est en train de vous apprendre qu’elle se monte facilement. C’était une défaut caché. Nous avons d’ailleurs tout juste le temps de vous soumettre notre projet. Car nous étions venues pour une invitation ce qui ne vous surprend pas : encore une randonnée en auto et, cette fois nous n’admettons pas de refus. De toute nécessité, il faut que vous soyez des nôtres.

 

La portière ayant repris son poste, Paule s’en retournait à la lingerie lorsqu’elle se trouva soudain en face des élégantes de tout à l’heure qui sortaient de chez sa grande amie. Le sourire qui était monté aux lèvres de la jeune fille se figea aussitôt. On la saluait très froidement et la plus jeune des deux visiteuses paraissait vouloir se dissimuler dans la chambre qu’elle n’avait pas encore quittée.

L’enfant ne put se retenir de trouver un peu cruelle la volte-face. Mais ne sachant même pas quelle affaire peut-être épineuse avait amené ces dames chez la directrice, non seulement elle s’abstint de juger, mais, d’une prompte décision, elle chassa aussitôt l’incident de sa mémoire.


VI


Tous les deux dimanches, au moins, Paule rendait visite à sa bonne sœur Éloi. D’ordinaire, Mme Deslandes prenait le tramway avec elle, mais au lieu de descendre rue Fullum, elle continuait jusqu’à Hochelaga où habitait une cousine qui lui était chère. Pendant ce temps, Paule sonnait à la porte du couvent et se faisait introduire au parloir.

Elle n’avait jamais à y attendre longtemps : courte et humble, son aimable visage tout rayonnant, sœur Éloi se découpait bientôt en silhouette noire, dans l’encadrement de la porte. De ses yeux fureteurs, elle ne manquait jamais de découvrir quelque coin plus intime que celui où Paule se trouvait et, par la main, elle y emmenait bien vite sa petite enfant, au cliquetis du chapelet caché dans les plis de sa robe de bure.

Lorsque Paule s’était assise vis-à-vis d’elle, en plein jour, la vraie jouissance commençait. La jeune fille eût pu prononcer des mots sans suite et poursuivre, des heures durant quelque discours décousu que sœur Éloi n’aurait pas diminué l’extase de son sourire. Ce qui l’intéressait d’abord, à ce premier moment du revoir, ce n’était pas tant le sens des réflexions de l’enfant que la musique de son babil, l’imprévu de ses gestes, l’expression vraiment ravissante de sa figure.

Quand, par ci par là, elle ramenait son attention aux mots prononcés, c’était pour s’ébahir, comme les mères aux premières gentillesses de leur petit. Elle avait trouvé cela toute seule, Paule, la petite Paule de la ruelle Luc ? C’est qu’elle tournait ses phrases avec une désinvolture… Quelquefois, à une parole plus étonnante, c’en était trop : sœur Éloi ne pouvait plus retenir l’éclair de ses yeux, le plissement caractéristique de ses lèvres.

Aussitôt, Paule s’interrompait et, avec son calme étonnant :

— Est-ce que vous vous moquez de moi, ma sœur ? demandait-elle.

Alors, sœur Éloi riait sans contrainte, montrant toutes ses belles fausses dents ; sa main glissait, furtive, jusqu’à celle de Paule et, en toute simplicité :

— Continue donc hein ? disait-elle. Continue donc…

Et, Paule ne retrouvant pas tout de suite le fil interrompu de son discours, elle lui posait la question traditionnelle :

— Alors, vous vous sentez vraiment heureuse, au Foyer, ma petite Paule ?

— Trop, ma sœur. Si quelque chose me manque ce sont les rigueurs de ma vie là-bas et ça me manque. Vous savez, ma sœur, que je ne parlais pas beaucoup, ruelle Luc, et je riais encore moins. Le soir, j’allais m’agenouiller près de grand’mère et je lui confessais mes fautes de la journée ; alors elle me punissait. Maintenant, je n’ai plus personne pour m’aider à expier. Pourtant, je pèche toujours. Je ne sortais qu’une fois la semaine, le dimanche, pour entendre la messe de cinq heures et quart, avec les vieilles femmes du quartier. Le reste de la journée, je lisais et je priais avec grand’mère. J’aime la vie sévère.

— Entendez-vous la messe sur la semaine, maintenant ? s’informait la religieuse.

— Pas encore, ma sœur. Grande amie me laisse toujours dormir. Vous ne savez pas pourquoi ? Pour que je me remplume !  !

Et Paule riait, discrètement à cause du parloir rempli, mais de la gaieté fraîche plein les yeux.

Pour l’une comme pour l’autre l’heure du départ sonnait toujours trop vite.

— Il faut bien que je m’en aille, soupirait Paule, en se levant.

Alors, ce n’était plus seulement sa main que sœur Éloi essayait de retenir, c’était tout son bras auquel elle s’agrippait avec une sorte de désespoir affectueux.