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semblent avoir subi l’impulsion de quelque fatalité obscure. La longue pluie aux fils sans fin tisse pour la plaine frissonnante un manteau de tristesse et de dénuement, — la vieille pluie « aux cheveux d’eau ». La neige tombe, comme une pauvre laine, en petites touffes impondérables, qui s’accumulent, s’entassent ; et elle est pâle et mortuaire, la neige au loin. Or, parmi la neige et la pluie, grises, ternes, les bizarres silhouettes humaines se révèlent plus étrangement. Elles surgissent de la solitude immense ; elles grandissent et s’hyperbolisent en images surnaturelles, emblématiques, auxquelles on cherche un sens merveilleux, tant elles ont l’air d’être là comme des signes du mystère…

Ainsi naissent, d’une sorte d’auto-suggestion, les symboles, dans ces poèmes de Verhaeren. Ils ne ressemblent pas à des allégories. Cette campagne flamande des bords de l’Escaut, où le poète naquit, « est un pays de moulins, de vanniers, de cordiers, de passeurs d’eau…[1] ». Le geste habituel de ces bonshommes quotidiennement vus prit une ampleur prodigieuse dans cette imagination visionnaire ; l’idée qu’il suggérait, — idée d’effort, de haine, de violence, d’amour, — s’identifia bientôt à lui et l’anima, en quelque sorte le suscita. De cette façon, le passeur d’eau se transforma en un symbole de la lutte acharnée et vaine, mais embellie d’illusion… Le cordier apparut aux prises avec tout l’infini de l’espace et du temps qu’il tire à lui, des horizons, au bout de ses ficelles de chanvre. Et le menuisier qui écrit sur les planches géométriques, des carrés et des cercles et des algèbres compliquées, le menuisier « du vieux savoir »

  1. Vielé-Griffin, l. l.