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expressive ; le retour périodique des temps forts y marque l’insistante obsession de l’idée : ils frappent à coups redoublés, et leur battement continuel est d’un extraordinaire effet.


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Le recueil suivant d’Émile Verhaeren, les Apparus dans mes chemins[1], est d’une incomparable beauté tragique. Une prodigieuse crise d’âme y éclate comme dans une éblouissante fulguration d’éclairs. D’abord y continuent les hallucinations des Soirs et des Débâcles, plus fantastiques peut-être : plaines sinistres où le vieux berger des ténèbres corne l’appel des brebis de la Mort, où soudain apparaissent, immenses, dressés sur le ciel magique, « Celui de l’horizon », l’écartelé de son désir qui s’épouvante de lui-même et cherche à travers rocs, à travers landes, la route vers d’autres existences et d’autres tortures, — « Celui de la fatigue », vêtu de siècles morts, inassouvi de lassitude, aïeul de ceux qui pensent, de ceux qui souffrent, et qui jette à l’éternité son cri farouche de misère et de malédiction, — « Celui du savoir », les yeux aigus d’avoir scruté la science inquiétante des soirs, — « Celui du rien », roi des pourritures grandioses, ivre de formidable ironie et dont le rire éclate devant l’universel tombeau ; il proclame la fin de toutes choses dans l’anéantissement dernier des pourritu-

  1. Les Apparus dans mes chemins, Lacomblez, 1891. Réimpression dans la troisième Série des Poèmes (Mercure de France, 1899). Mais il y a, entre les deux éditions, des différences considérables. Plusieurs poèmes manquent dans la seconde. Le tout a été remanié ; certains poèmes, écrits à nouveau, sont presque méconnaissables.