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Ces poèmes sont beaux de simplicité vigoureuse, d’éclat, de gravité. Mais Verhaeren n’y a point encore révélé ses qualités les plus singulières. Il s’est montré descriptif puissant ; il va devenir un prodigieux évocateur. Il ne se contentera plus de peindre la réalité, mais il va l’illuminer des lueurs fantastiques de son extraordinaire imagination. Les Soirs, les Débâcles, les Flambeaux noirs, qui parurent entre 1887 et 1890[1], forment une étonnante trilogie de rêve ardent et d’inquiétante fantasmagorie. Cette œuvre, ainsi que nous l’apprend Vielé-Griffin, est contemporaine d’une crise physiquement maladive dans la vie du poète. On y sent l’exaltation de la souffrance, la rage d’exaspérer encore les nerfs douloureux et l’imagination fiévreuse d’un être que hantent de terribles hallucinations, une âme torturée et qui se torture davantage à épier son mal, à en suivre les progrès, à en exciter le tourment.

Les Soirs sont les fantastiques décors où surgissent et se meuvent les affolantes visions. Aux Débâcles, Verhaeren a donné ce sous-titre : déformation morale ; c’est le cauchemar de l’imagination terrifiée de son trouble, prise de vertige, et qui chavire. Les Flambeaux noirs éclairent sinistrement l’étrange magie de ces apparitions, de ces fantômes.

L’inspiration d’Émile Verhaeren a subi une terrible transformation depuis le temps, peu éloigné pourtant,

  1. Chez Deman, éditeur à Bruxelles (1887, 1888 et 1890). La réimpression des trois volumes forme la 2e série des Poèmes (Mercure de France, 1896).