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toutes voiles claquantes,
Leur proue et leurs sabords souffletés de soleil…


Les paysages et les êtres vivent ici d’une semblable vie, et leur union est magnifiée en quelques poèmes d’un naturalisme grandiose, tels que celui de la Vachère, qui est admirable. Dans l’herbe du pré elle s’est endormie, les bras repliés, elle ronfle ; au-dessus d’elle, les mouches rôdent. La force qui circule au tronc des chênes est celle aussi qui court dans ses veines :

Ses mains sont de rougeur crue et sèche ; la sève
Qui roule à flots de feu dans ses membres hàlés
Bat sa gorge, la gonfle, et, lente, la soulève,
Comme les vents lèvent les blés.

Midi, d’un baiser d’or, la surprend sous les saules,
Et toujours le sommeil s’alourdit sur ses yeux,
Tandis que des rameaux flottent sur ses épaules
Et se mêlent à ses cheveux.


Elle est l’âme obscure et ardente de la plaine féconde ; somnolente, elle frémit de l’immense désir universel…

… Avec la Flandre plantureuse des kermesses et des pâtis gras, en contraste, il y a une autre Flandre, celle des cloîtres, des disciplines farouches. Verhaeren l’évoque dans les Moines[1] puissamment.

Moines très doux, amants naïfs de Notre-Dame, qui passent, à chanter ses louanges, les longues journées calmes ; moines très simples, contemplatifs et dévotieux ; moines épiques, dont les mains rudes tiennent la croix comme une épée ; moines sauvages, pénitents noirs qui s’hallucinent dans l’épouvantement des Christs vindica-

  1. Les Moines, Paris, Lemerre, 1886. Réimpression dans la première série des Poèmes.