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généreux vous égare. Ma raison viendra au secours de la vôtre ; vous ne savez pas quelle tâche on entreprend quand on veut combattre les préjugés de tout un peuple et demeurer dans une société dont on heurte chaque jour les opinions et les sentiments ! Non, je ne consentirai point à votre union avec ma fille. Cependant je ne repousse pas à jamais vos vœux. Parcourez l’Amérique ; voyez le monde dans lequel vous prétendez vivre ; étudiez ses passions et ses préjugés ; mesurez la force de l’ennemi que vous bravez ; et lorsque vous connaîtrez le sort de la population noire dans les pays d’esclaves et dans les États même où l’esclavage est aboli, alors vous pourrez prendre une résolution éclairée. Je ne crois pas, je vous l’avoue, qu’il appartienne à une force humaine de résister aux impressions que vous allez recevoir. Mais si l’aspect d’une misère affreuse n’effraie point votre courage et ne rebute point votre cœur, croyez-vous que j’hésite à accepter pour ma chère Marie l’appui généreux que vous viendrez lui présenter ?

La réponse ferme de Nelson, dont l’accent annonçait une volonté déterminée, me consterna…

— J’exige, ajouta-t-il, que vous passiez au moins six mois dans l’observation des mœurs de ce pays… Ce temps d’épreuve vous suffira sans doute.

Dans l’impatience de mon amour, je dis à Nelson : Nous sommes malheureux aux États-Unis ; vos enfants, par leur naissance ; vous et moi, par l’infortune de vos enfants. Quittons ce pays, allons en France. Là, nous ne trouverons point de préjugés contre les familles de couleur.

Je fus surpris de voir qu’à ces mots Georges ne donnait aucune marque d’assentiment ; car l’avis que j’ouvrais me semblait devoir lui sourire ; cependant il resta silencieux et rêveur.

— Vous hésitez ? lui dis-je.

— Non, répondit Georges, non… je n’hésite pas… Jamais je ne quitterai l’Amérique.

Nelson donna un signe d’approbation et Marie fit entendre un soupir.

— Je suis opprimé dans ce pays, reprit Georges ; mais l’Amérique est ma patrie ! N’est-on bon citoyen qu’à la con-