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à mon amour le soin de te protéger… Tu crains pour moi l’infamie !… Marie, tu ne sais pas combien je m’enorgueillis de toi ! Tu ne comprends pas comme je serai fier de me montrer en tous lieux, paré de ton amour, de ta beauté, de ton infortune ! Ah ! qu’ils me jettent au visage une parole de mépris, ces nobles marchands aux armoiries brillantes, au sang pur et sans mélange ! comme je jouirai de leur insolence ! En Europe, que ferais-je pour toi, Marie ? là on tomberait à tes genoux, ange de grâce et de bonté ; chacun s’approcherait pour être béni de ton sourire, fille chaste et pure ; quel homme n’envierait la gloire de protéger ton innocence et ta faiblesse ? Ici l’on te repousse, on te déshonore… Ah ! que je vous rends grâces, Américains insensibles et froids, de vos mépris et de vos injustices ! Par vous, celle que j’aime est abaissée… mais vous la verrez relever sa belle tête ! vous lui rendrez foi et hommage, nobles seigneurs de comptoir… vos fronts basanés de race blanche s’inclineront devant la blanche fille de couleur… je vous la ferai respecter ! Marie sera la première parmi vos femmes !…

En prononçant ces mots, je me prosternai aux pieds de Marie, comme pour indiquer le culte dont je jugeais digne mon idole… La fille de Nelson pleurait de bonheur ; elle prit mes mains dans ses deux mains, y laissa tomber quelques pleurs et posa sur moi sa tête, me montrant par ce signe qu’elle acceptait mon appui. Ces larmes de la faible femme tombées sur l’homme fort signifiaient sans doute que toute ma puissance ne nous préserverait pas des orages !

Cependant Georges, dont l’émotion était extrême, se jeta dans mes bras ; il me serrait étroitement contre sa poitrine, seul langage que trouvât son cœur.

Nelson, impassible, conservant son attitude calme et froide au milieu des passions violentes qui nous agitaient, ressemblait à ces vieilles ruines du rivage de l’Océan qu’on voit immobiles sur la pointe d’un roc, tandis que tout croule autour d’elles, et qui demeurent debout au mépris de l’ouragan déchaîné sur leur tête et des flots en fureur mugissant à leurs pieds. Nos passions ne l’avaient point ému, et aucune de nos paroles ne l’avait irrité.

— Mon ami, me dit-il après un peu de silence, votre cœur