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contient une faculté puissante, celle de la vengeance… d’une vengeance implacable, horrible, mais intelligente… S’il vous hait, c’est qu’il a le corps tout déchiré de vos coups, et l’âme toute meurtrie de vos injustices… Est-il si stupide de vous détester ? Le plus fin parmi les animaux chérit la main cruelle qui le frappe, et se réjouit de sa servitude… Le plus stupide parmi les hommes, ce nègre abruti, quand il est enchaîné comme une bête fauve, est libre par la pensée, et son âme souffre aussi noblement que celle du Dieu qui mourut pour la liberté du monde. Il se soumet ; mais il a la conscience de l’oppression ; son corps seul obéit ; son âme se révolte. Il est rampant ! oui… pendant deux siècles il rampe à vos pieds… un jour il se lève, vous regarde en face et vous tue. Vous le dites cruel ! mais oubliez-vous qu’il a passé sa vie à souffrir et à détester ! Il n’a qu’une pensée : la vengeance, parce qu’il n’a eu qu’un sentiment : la douleur.

Georges, en parlant, s’était animé d’un feu presque surnaturel, et son regard étincelait de haine et de colère.

— Mon ami, reprit froidement Nelson, croyez-vous qu’il n’en coûte pas à mon cœur de juger comme je le fais une race à laquelle votre mère ne fut pas étrangère ?

— Ah ! mon père, s’écria Georges, avant d’être époux, vous étiez Américain.

Alors Marie jetant sur son frère un regard suppliant : — Georges, lui dit-elle, pourquoi ces emportements ?

Puis se tournant vers Nelson : — Mon père, vous avez raison ; les Américaines sont supérieures aux femmes de couleur ; elles aiment avec leur raison : moi, je ne sais vous aimer qu’avec mon cœur.

Et, en prononçant ces mots, elle se jeta dans ses bras, comme pour y cacher la honte qui couvrait son visage.

Georges reprit : — Ma sœur rougit de son origine africaine… moi, j’en suis fier. Les hommes du Nord n’ont qu’à s’enorgueillir de leur génie froid comme leur climat… nous devons, nous, au soleil de nos pères des âmes chaudes et des cœurs ardents.

Il se tut quelques instants ; puis il ajouta avec un sourire amer :

— Les Américains sont un peuple libre et commerçant…