Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/77

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ludovic.

Il est naturel que l’esclave qui, tout à coup, devient libre, ne sache ni user ni jouir de l’indépendance. Pareil à l’homme dont on aurait, dès l’âge le plus tendre, lié tous les membres, et auquel on dit subitement de marcher, il chancelle à chaque pas… La liberté est entre ses mains une arme funeste, dont il blesse tout ce qui l’entoure ; et, le plus souvent, il est lui-même sa première victime. Mais faut-il en conclure que l’esclavage, une fois établi quelque part, doit être respecté ? Non, sans doute. Seulement il est juste de dire que la génération qui reçoit l’affranchissement n’est point celle qui en jouit : le bienfait de la liberté n’est recueilli que par les générations suivantes… Je ne reconnaîtrai jamais ces prétendues lois de la nécessité, qui tendent à justifier l’oppression et la tyrannie.

nelson.

Je pense ainsi que vous ; cependant, ne croyez pas que les nègres soient traités avec l’inhumanité dont on fait un reproche banal à tous les possesseurs d’esclaves ; la plupart sont mieux vêtus, mieux nourris et plus heureux que vos paysans libres d’Europe.

— Arrêtez ! s’écria Georges avec violence (car en ce moment sa colère devint plus forte que son respect filial) ; ce langage est inique et cruel ! Il est vrai que vous soignez vos nègres à l’égal de vos bêtes de somme ! mieux même, parce qu’un nègre rapporte plus au maître qu’un cheval ou un mulet… Quand vous frappez vos nègres, je le sais, vous ne les tuez pas : un nègre vaut trois cents dollars… Mais ne vantez point l’humanité des maîtres pour leurs esclaves : mieux vaudrait la cruauté qui donne la mort, que le calcul qui laisse une odieuse vie !… Il est vrai que, d’après vos lois, un nègre n’est pas un homme : c’est un meuble, une chose… Oui, mais vous verrez que c’est une chose pensante… une chose qui agite et qui remue un poignard… Race inférieure ! dites-vous ? Vous avez mesuré le cerveau du nègre, et vous avez dit : « Il n’y a place dans cette tête étroite que pour la douleur » ; et vous l’avez condamné à souffrir toujours. Vous vous êtes trompés ; vous n’avez pas mesuré juste : il existe dans ce cerveau de brute une case qui vous a échappé, et qui