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Alors je dis : — Quelle est donc, chez un peuple exempt de préjugés et de passions, l’origine de cette fausse opinion qui note d’infamie des êtres malheureux, et de cette haine impitoyable qui poursuit toute une race d’hommes de génération en génération ?

Nelson réfléchit un instant ; ensuite il s’engagea entre nous une conversation, dont je puis vous rapporter exactement les termes ; elle a laissé dans ma mémoire des traces que le temps ne saurait effacer.

nelson.

La race noire est méprisée en Amérique, parce que c’est une race d’esclaves ; elle est haïe, parce qu’elle aspire à la liberté.

Dans nos mœurs, comme dans nos lois, le nègre n’est pas un homme : c’est une chose.

C’est une denrée dans le commerce, supérieure aux autres marchandises ; un nègre vaut dix acres de terre en bonne culture.

Il n’existe pour l’esclave ni naissance, ni mariage, ni décès.

L’enfant du nègre appartient au maître de celui-ci, comme les fruits de la terre sont au propriétaire du sol. Les amours de l’esclave ne laissent pas plus de traces dans la société civile que ceux des plantes dans nos jardins ; et, quand il meurt, on songe seulement à le remplacer, comme on renouvelle un arbre utile, que l’âge ou la tempête ont brisé[1].

ludovic.

Ainsi, vos lois interdisent aux nègres esclaves la piété filiale, le sentiment paternel et la tendresse conjugale. Que leur reste-t-il donc de commun avec l’homme ?

nelson.

Le principe une fois admis, toutes ces conséquences en découlent : l’enfant né dans l’esclavage ne connaît de la famille que ce qu’en savent les animaux ; le sein maternel le nourrit comme la mamelle d’une bête fauve allaite ses petits ; les rapports touchants de la mère à l’enfant, de l’enfant au père, du

  1. Voyez à la fin du volume la note sur la condition sociale et politique des nègres esclaves et des gens de couleur affranchis.