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» Sa dénonciation était odieuse ; mais elle était vraie. La tache originelle de Thérésa Spencer s’était perdue dans la nuit des temps. À la voix de Fernando les souvenirs endormis se réveillèrent… Il y a tant de mémoire dans le cœur de l’homme pour les misères d’autrui. L’opinion publique fut tout en émoi ; on fit une sorte d’enquête ; les anciens du pays furent consultés, et il fut reconnu qu’un siècle auparavant, la famille de Thérésa Spencer avait été souillée par une goutte de sang noir.

» La suite des générations avait rendu ce mélange imperceptible. Thérésa était remarquable par une éclatante blancheur ; et rien dans son visage, ni dans ses traits, ne décelait le vice de son origine ; mais la tradition la condamnait.

» Depuis ce jour, notre vie, qui s’écoulait paisible et douce, devint amère et cruelle. Plus nous étions haut dans l’estime du monde, et plus la honte de déchoir fut éclatante. Je vis aussitôt chanceler les affections que je croyais les plus solides. Un seul ami, resté fidèle au malheur, eut à rougir de mon affection.

» Cet ami généreux, auquel vous tenez par les liens du sang, avait, je crois, comme Français, plus de philanthropie pour la race noire, et moins de préjugés contre elle, qu’il ne s’en trouve d’ordinaire chez les Américains. Lui seul, aux jours de l’infortune, me tendit une main secourable, et me préserva de l’opprobre d’une faillite. Le coup porté à ma position sociale avait en même temps ébranlé mon crédit. Les hommes de ce pays, si indulgents pour une banqueroute, furent sans pitié pour une mésalliance * !

» Cependant le mal était sans remède ; je luttai contre ma fortune, parce qu’il est dans nos mœurs de ne jamais désespérer ; mais l’obstacle était au-dessus d’une force humaine.

» Thérésa se reprocha cruellement des malheurs dont elle était innocente. Orpheline dès l’âge le plus tendre, elle n’avait point connu les secrets de sa famille. Sa douleur fut si profonde qu’elle n’y survécut pas ; je la vis expirer dans mes bras, épuisée par ses larmes et par son désespoir.

» Quand elle fut enlevée à mon amour, elle si jeune d’années et si vieillie par le chagrin, elle si pure et si désolée, je doutai pour la première fois de la Providence et de mon cou-