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la maison, voyant leurs maîtres affligés, partageaient leur douleur sans la comprendre.

Marie ne se montra point de tout le jour. Quand l’heure du soir fut venue, nous étions, Nelson, Georges et moi, assis dans le salon, où nous prenions le thé, suivant la coutume ; chacun de nous était muet ; je n’osais enfreindre un silence d’autant plus difficile à rompre qu’il avait duré plus longtemps ; et cependant comment supporter davantage les tourments de mon incertitude !

Enfin nous vîmes entrer Marie ; son visage était pâle, sa démarche tremblante ; elle parut en baissant les yeux, et vint se placer près de son père. Au bout de quelques minutes, Nelson éleva la voix et me dit : « Mon jeune ami, je sais vos sentiments, je les crois purs, et je vous estime ; mais vous ignorez nos malheurs : vous allez les connaître et nous plaindre. »




CHAPITRE VIII.


la révélation.


« La Nouvelle-Angleterre, mon pays natal, n’est point la patrie de mes enfants : Georges et Marie sont nés dans la Louisiane. Hélas ! plût au Ciel que je n’eusse jamais quitté le lieu de ma naissance ! Mon père, négociant à Boston, fit sa fortune ; à sa mort, son patrimoine se divisa également entre ses enfants, et ne suffit plus à leurs besoins. J’avais deux frères : le premier partit pour l’Inde, d’où il a rapporté de grandes richesses ; le second s’est avancé dans l’Ouest : il possède aujourd’hui deux mille acres de terre et plusieurs manufactures dans l’Illinois. J’étais incertain sur le parti que je devais prendre : quelqu’un me dit : « Allez à la Nouvelle-Orléans, si vous n’y êtes pas victime de la fièvre jaune, vous y ferez une grande fortune. » L’alternative ne m’effraya pas, je suivis ce conseil… Hélas ! j’ai moins souffert d’un climat insalubre que de la corruption des hommes.