Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la plus violente comme de la plus douce passion qui jamais ait régné sur mon âme ?

Marie venait d’atteindre sa dix-huitième année ; l’ensemble de ses traits formait une harmonie charmante, mélange de tons énergiques et tendres, dans lequel les douces notes prévalaient ; son regard était mélancolique et touchant comme une rêverie d’amour ; et cependant on voyait briller dans ses grands yeux noirs une étincelle du soleil ardent qui brûle le climat des Antilles ; son front s’inclinait, courbé par je ne sais quelle douleur ; et sa taille pleine de grâce s’appuyait sur sa dignité naturelle, comme la frégate légère se balance mollement sur le flot qui la soutient.

Elle réunissait en sa personne tout ce qui séduit dans les femmes américaines, sans aucune des ombres qui ternissent l’éclat de leurs vertus. On l’eût prise pour une Européenne aux passions ardentes, à l’imagination vive, Italienne par les sens, Française par le cœur ; et cette femme, Américaine par sa raison, vivait au sein d’une société morale et religieuse !

J’avais vu quelquefois ses yeux se mouiller de pleurs au récit d’une action généreuse, à la voix lamentable d’un malheureux, au charme d’une touchante harmonie, mais un hasard fortuné vint me révéler toute la bonté de son cœur.



CHAPITRE VI.


L’ALMS-HOUSE DE BALTIMORE.

J’avais remarqué que souvent, à la même heure du jour, Marie sortait seule. Ce fait n’avait en lui-même rien qui pût me surprendre, l’usage américain permettant aux jeunes filles de parcourir la ville sans être accompagnées, soit pour se promener, soit pour visiter leurs amies ; mais ce n’étaient point les promenades publiques qui attiraient Marie, car je ne l’y voyais jamais ; et comme elle ne recevait aucune visite, il n’était pas vraisemblable qu’elle en eût à faire. En réflé-