Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/38

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et plus enivrant encore pour mon imagination le spectacle lointain des mouvements du monde. Ainsi je ne voyais, du vaste théâtre où s’agitait la destinée des peuples, que ce qui pouvait me dégoûter du coin de terre que j’habitais.

Lorsque, tout ému encore par les récits qui avaient fait bondir mon cœur, je retombais au milieu du calme profond de notre retraite ; quand, après avoir roulé dans mon esprit les plus vastes pensées, je me sentais ramené aux paisibles intérêts des champs… j’éprouvais un insurmontable ennui, et sentais une répugnance que, depuis, je n’ai jamais pu vaincre pour le tranquille bonheur dont j’étais le témoin : non que je fusse insensible à l’ordre et à la moralité dont l’intérieur de la famille m’offrait le touchant spectacle. J’étais souvent ému à l’aspect des bonnes œuvres qui se faisaient sous mes yeux ; car jamais un malheureux n’était repoussé de notre demeure, et je voyais le pauvre s’éloigner en nous bénissant ; mais je sentais chaque jour qu’il me fallait quelque chose de plus encore. Je prenais à mon père ses vertus ; au monde que j’entrevoyais, sa grandeur ; je mêlais ces deux choses, j’en faisais un ensemble délicieux, enivrant. Bientôt elles s’unirent si intimement dans ma pensée, que je ne pouvais plus les séparer. Je n’eusse point voulu de gloire sans vertus ; mais la vertu sans gloire me paraissait terne.

Enfin les portes du monde s’ouvrirent pour moi… je me précipitai dans l’arène.

Déjà tout y était changé ; la paix régnait en Europe ; ce n’était point le calme du bien-être, mais l’immobilité qui suit une violente convulsion. Les peuples n’étaient pas heureux, ils étaient las et se reposaient… De vastes ambitions, d’impétueux désirs, quelques nobles enthousiasmes, s’agitaient encore à la surface de la société ; mais tous ces élans n’avaient plus de but… Tout d’ailleurs s’était rapetissé dans le monde, les choses comme les hommes. On voyait des instruments de pouvoir, faits pour des géants, et maniés par des pygmées ; des traditions de force exploitées par des infirmes, et des essais de gloire tentés par des médiocrités. Au siècle des révolutions avait succédé le temps des troubles ; aux passions, les intérêts ; aux crimes, les vices ; au génie, l’habileté ; les paroles, aux actes. Je trouvai une société où tout semblait en-