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1831) l’opinion avait déjà entièrement changé sur ce point. Je ne puis mieux faire connaître cette révolution dans l’esprit public qu’en rapportant textuellement ce que me disait à Baltimore un homme d’un caractère élevé, et qui tient un rang distingué dans la société américaine.

« Il n’est, me disait-il, personne dans le Maryland qui ne désire maintenant l’abolition de l’esclavage aussi franchement qu’il en voulait jadis le maintien.

« Nous avons reconnu que les blancs peuvent se livrer sans aucun inconvénient aux travaux agricoles, qu’on croyait ne pouvoir être faits que par des nègres.

« Cette expérience ayant eu lieu, un grand nombre d’ouvriers libres et de cultivateurs de couleur blanche se sont établis dans le Maryland, et alors nous sommes arrivés à une autre démonstration non moins importante : c’est qu’aussitôt qu’il y a concurrence de travaux entre des esclaves et des hommes libres, la ruine de celui qui emploie des esclaves est assurée. Le cultivateur qui travaille pour lui, ou l’ouvrier libre qui travaille pour un autre, moyennant salaire, produisent moitié plus que l’esclave travaillant pour son maître sans intérêt personnel. Il en résulte que les valeurs créées par un travail libre se vendent moitié moins cher. Ainsi telle denrée qui valait deux dollars lorsqu’il n’y avait parmi nous d’autres travailleurs que des esclaves, ne coûte actuellement qu’un seul dollar. Cependant celui qui la produit avec des esclaves est obligé de la donner au même prix, et alors il est en perte ; il gagne moitié moins que précédemment, et cependant ses frais sont toujours les mêmes ; c’est-à-dire qu’il est toujours forcé de nourrir ses nègres, leurs familles, de les entretenir dans leur enfance, dans leur vieillesse, durant leurs maladies ; enfin, il a toujours des esclaves travaillant moins que des hommes libres. »[1]

  1. Il n’existe dans le Maryland qu’une seule branche de culture pour laquelle on peut encore sans préjudice employer les esclaves, c’est celle du tabac. Cette culture, qui exige une infinité de soins minutieux, réclame un nombre immense de bras : des femmes, des enfants suffisent pour cet objet ; le point important, c’est d’en avoir un grand nombre, et les familles de nègres, en général si nombreuses, remplissent cette condition. Du reste, les nègres sont encore utiles pour cette culture, mais non indispensables ; la culture du tabac serait également bien faite par les blancs. On peut dire seulement que, faite par des esclaves, elle procure encore un bénéfice, tandis qu’elle a cessé d’être profitable appliquée aux autres industries agricoles.