Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/243

Cette page n’a pas encore été corrigée

le maître seul, privé du travail de son esclave, et dont le préjudice sera d’autant plus grand que la peine sera plus longue.

S’agit-il d’un emprisonnement à vie ? on conçoit qu’une réclusion perpétuelle soit une peine grave ; même pour l’esclave qui n’a point de liberté à perdre. Mais ici se présente un autre obstacle : la détention perpétuelle prive le maître de son esclave : prononcer ce châtiment contre l’esclave, c’est ruiner le maître.

L’objection est encore plus grave contre la mort. Infliger cette peine à l’esclave, c’est anéantir la propriété du maître. Ainsi, toutes les peines dont la loi se sert pour châtier les hommes libres sont inapplicables aux esclaves ; la mort même, cet instrument à l’usage de toutes les tyrannies, fait ici défaut au possesseur de nègres.

Cependant on trouve souvent, dans les lois américaines relatives aux esclaves, des dispositions portant la mort et l’emprisonnement perpétuel ; quelquefois même ces peines sont appliquées par les cours de justice, mais les cas en sont très-rares ; c’est seulement lorsque l’esclave a commis un grave attentat contre la paix publique ; alors la société blessée exige une réparation ; elle s’empare du nègre, le condamne à mort ou à une réclusion perpétuelle ; et, comme par ce fait elle prive le maître de son esclave, elle lui en paie la valeur. « Tous esclaves, porte la loi, condamnés à mort ou à un emprisonnement perpétuel, seront payés par le trésor public. La somme ne peut excéder trois cents dollars. »[1]

Ici des intérêts d’une nature étrange entrent en lutte et exercent sur le cours de la justice une déplorable influence. Le maître, avant d’abandonner son nègre aux tribunaux, examine attentivement le délit, et ne le dénonce que s’il le croit capital ; car l’indemnité étant à cette condition, il n’a intérêt à livrer son esclave que si celui-ci doit être condamné à mort. D’un autre côté, la société, payant le droit de se faire justice, ne l’exerce qu’avec une extrême réserve ; elle épargne le sang, non par humanité, mais par économie ; et, tandis que l’intérêt

  1. V. Digeste des lois de la Louisiane, vº Code noir, t. I, p. 248, et aussi lois de la Caroline, Brevard’s Digest, vº Slaves, t. II, § 23.