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lui manquèrent, son stoïcisme fut ébranlé, et un jour il partit du désert, afin de retourner dans la Nouvelle-Angleterre, son pays natal, où il a repris, dit-on, les premières habitudes de sa vie. En quittant ces lieux, il fit de vains efforts pour m’entraîner avec lui. Je ne quitterai jamais Saginaw. Depuis ce jour, ma vie se passe uniforme et monotone… J’y ai marqué ma tombe auprès de celle de Marie.

— Oh ! combien je vous plains ! dit le voyageur ; que vous devez être malheureux !

— Oui, répondit Ludovic, mon infortune est cruelle, mais je la supporte avec courage… Mon plus grand chagrin est de penser que nul ne peut comprendre mon malheur, et qu’ainsi je n’excite la pitié de personne… Du reste, cette vie amère n’est point sans douceur : tous les jours je visite le monument, objet de mon culte. Chaque fois que je prie, incliné dans une religieuse extase, je crois entendre, au-dessus de ma tête, un concert joyeux de voix célestes, auxquelles répondent des accents tristes et mystérieux qui semblent sortir de la tombe : il y a beaucoup d’harmonie dans ces mélancolies de la terre et dans ces joies du ciel. Je ne doute pas, en les écoutant, que Marie ne soit déjà parmi les anges, et que son ombre chérie ne m’envoie ces douces illusions pour me convier au délicieux festin de l’immortalité.

Ces dernières paroles du solitaire jetèrent le voyageur dans une profonde rêverie…

Le lendemain, celui-ci prit congé de son hôte. On assure que, peu de temps après, il partit de New-York pour le Havre. En apercevant les côtes de France, qu’il devait ne plus revoir, il pleura de joie. Rendu à sa chère patrie, il ne la quitta jamais.