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est le but de l’homme sur la terre. Je vois ce but plus clairement que qui que ce soit ; cependant moins que personne je puis l’atteindre. — Malheur à celui qui, s’étant fait une orgueilleuse idée de la puissance de l’homme, s’est accoutumé à poursuivre des buts immenses, des projets sans limites, des résultats complets ; tous ses efforts viendront se briser devant les facultés bornées de l’homme, comme devant une invincible fatalité. »

Ici Ludovic s’arrêta. « Ainsi, lui dit le voyageur, depuis votre retour au désert, vous y passez vos jours dans un perpétuel isolement ?

— Oui, répondit Ludovic… Dans les premiers temps, le voisinage de Nelson et des Indiens qu’il instruisait fut pour moi l’occasion de quelques relations que j’acceptais sans les rechercher ; mais bientôt ce dernier lien fut brisé.

La paix qui régnait entre les Ottawas et les Cherokis fut troublée. L’hiver qui suivit mon retour à Saginaw fut très-rigoureux. Les lacs se couvrirent de glaces épaisses qui firent mourir les habitants des eaux. Privés de ce moyen d’existence, les Indiens n’eurent pour vivre d’autre ressource que le gibier des forêts, qui fut bientôt lui-même presque entièrement détruit.

Alors les Ottawas se rappelèrent que leur tribu était jadis seule maîtresse de ces lieux, et ils virent avec raison, dans l’arrivée des Cherokis parmi eux, la cause principale de leur détresse… Leur misère exalta sans doute leur ressentiment… Nelson fit de vains efforts pour conjurer l’orage qu’il voyait près d’éclater… Un jour, les Ottawas, réunis de toutes les parties du Michigan sur un seul point, peu distant de l’établissement des Cherokis, donnèrent le signal d’extermination, et après une lutte terrible, Nelson vit massacrer jusqu’au dernier des malheureux compagnons de son exil.

Rien ne saurait peindre la perfidie et la cruauté, durant la guerre, de ces hommes si humains et si droits pendant la paix…

Cet événement affreux porta le trouble dans l’âme de Nelson ; car son vœu le plus cher était de mourir au milieu des Indiens, après leur avoir enseigné les vérités de l’Evangile… Mais lorsque les infortunés pour lesquels il avait tout abandonné