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« D’ailleurs, ces élans, ces transports, cet enthousiasme, sont-ils durables chez ceux mêmes qui les éprouvent ?… Permettez-moi de vous dire, mon cher enfant, que le bonheur immense dont vous espériez jouir dans cette solitude avec le digne objet de votre amour, était encore une chimère de votre imagination, et peut-être la plus cruelle de toutes…

« Dans l’âge des passions brûlantes, la vie de deux êtres qui s’aiment est toute amitié, tendresse, dévouement, échange de sentiments généreux… alors la seule richesse qui se dépense entre eux est celle de l’âme… Deux êtres qui se donnent mutuellement ces trésors du cœur ne manquent d’aucun bien et n’ont besoin de personne ; ils jouissent d’une félicité dont la source est en eux-mêmes, et ne doivent rien ni au monde ni à la fortune.

« Mais le temps de cette fièvre de l’âme, de cette spiritualité de l’existence, est passager. C’est une heure fugitive d’enchantement dans le long jour de la vie… Et quand cette heure est écoulée, les passions de l’homme, pareilles aux eaux de l’Océan après l’orage, reprennent leur niveau… Les grandes pensées qui exaltaient son esprit, les nobles sentiments qui faisaient bondir son cœur, ne se présentent plus à lui que comme des images brillantes ou comme de beaux souvenirs… Il est retourné aux habitudes et aux exigences de la vie positive.

« Hélas ! faut-il le dire ? on voit les êtres les plus aimants perdre en vieillissant une partie de leur bonté. Il semble que l’âme se durcisse comme le corps, et que tout se dessèche avec les années, même la source d’amour qui jaillit d’un bon cœur ! L’union qui s’est formée dans les illusions repose sur une base bien fragile…

« Votre malheur est bien grand, mon cher fils, et vous me voyez tout plein de son immensité. Mais dites, quel eût été votre destin si, atteignant le but de vos efforts, vous eussiez vu le bonheur tant désiré s’évanouir comme une nouvelle chimère !

« Une catastrophe terrible a devancé l’épreuve… et vous maudissez la société américaine, dont les préjugés, en exilant Marie, l’ont conduite, au tombeau… Votre plainte est