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imposants. « Eh quoi ! m’écriai-je, malgré le poids des années, vous affrontez cette solitude !

— « Mon ami, me dit le prêtre avec un accent plein de simplicité, n’y êtes-vous pas venu vous-même avec joie ? »

Je gardais un silence morne.

— « Une passion généreuse, reprit le vieillard, un amour pur vous ont conduit dans cet asile solitaire… mon ami, c’est aussi l’amour qui me guide près de vous, l’amour, source de toute vertu et de tout bien. Oh ! ajouta-t-il, je comprends votre infortune, puisque vous avez perdu ce que vous aimiez… Ces cheveux blancs vous tromperaient beaucoup, s’ils vous faisaient penser que j’ai plus de vertu que vous… je serais bien faible aussi devant le malheur. Il me semble que mon cœur se briserait, s’il m’était interdit d’aimer Dieu et de faire du bien à mes semblables… Vous le voyez, mon seul avantage sur vous, c’est d’avoir des affections dont l’objet ne périt point… »

Il y avait dans l’accent du vieillard quelque chose de tendre et de pénétrant… Je crois que le langage du protestant et celui du catholique diffèrent, comme la raison diffère du cœur. Alors je lui ouvris mon âme ; il m’écouta avec une attention mêlée de pitié. Mais quand il sut le projet que j’avais formé d’attenter à mes jours, je vis ses yeux se remplir d’une flamme soudaine. « Pourquoi, lui disais-je, prolonger une vie de misère et d’ennui ? À quoi suis-je bon sur la terre ?…

— « Malheureux ! ! s’écria-t-il dans un moment de vertueuse colère, qui donc es-tu pour citer la Providence devant ton tribunal ?… » Et les regards de l’octogénaire lançaient les foudres autour de lui.

Il reprit avec douceur : « Mon ami, vous êtes mon frère. Je vous vois bien malheureux et prêt à commettre un grand crime : je ne vous quitterai point… »

Le saint vieillard fut habile à s’emparer de mon cœur. Je lui racontai l’histoire de mes malheurs. Je lui dis mes rêves d’enfance, mes chimères de jeunesse, mes illusions de tout âge. Le récit de mes infortunes le toucha vivement… il m’écouta en silence et parut se livrer à de profondes méditations ; un jour se passa durant lequel il ne cessa de me