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j’ai une douleur dans l’âme ; ma tristesse ne me vient point de moi ; elle ne procède pas non plus de la crainte de vous affliger… car je sais votre vertu ; et vous ne pourrez regretter long-temps les suites d’un dévoûment qui me rend plus digne de votre estime. Mais ma sœur ! ma chère Marie ! qu’il est désolant de ne la plus revoir et comme elle sera malheureuse en apprenant que son Georges n’est plus !… Ah ! tâchez qu’elle conserve long-temps des doutes sur mon sort ! Le Ciel m’est témoin que, dans l’extrémité où je suis, c’est elle seule dont le souvenir trouble ma raison… Je ne puis croire qu’elle habite une terre où je ne serai plus… Ah ! qu’il me soit permis d’adresser quelques paroles au généreux Français dont elle était aimée… Ludovic, ô mon ami, écoutez la voix sacrée de l’homme à sa dernière heure : Marie est de toutes les créatures la plus sensible, la plus pure, la plus digne d’amour… Elle vous aime tendrement, Ludovic… Ah ! de grâce, ne brisez pas son cœur ! Elle est bien faible ! ! elle croit aisément au malheur, et ne résiste qu’à l’espérance ; le souvenir du destin de sa mère ne quitte point sa pensée. Hélas ! je n’en doute pas, un chagrin profond abrégerait sa vie. »

Cette lettre ajouta un nouvel aiguillon à ma douleur, et rendit encore plus abondante la source de mes larmes. Nelson contempla quelque temps la terre avec un regard immobile ; puis, levant les yeux au ciel : « O mon Dieu ! dit-il d’une voix grave et pénétrée, Seigneur, qui, pour m’éprouver, m’envoyez les plus cruels malheurs qui puissent déchirer le cœur d’un père, je me soumets à vos décrets tout puissans ; je suis bien infortuné, mais je ne murmurerai point contre votre providence, car vous êtes juste encore, alors que vous êtes sévère. J’accepte vos rigueurs comme des expiations, et, pour désarmer votre colère, je m’efforcerai d’avoir de bonnes œuvres à vous offrir. »

En ce moment, quelque bruit se fit entendre hors de la cabane ; je sortis : c’étaient des Indiens Cherokis ayant Mohawtan à leur tête. « Nous venons, me dit celui ci, pour voir si l’orage d’hier n’a fait aucun dégât dans la cabane, et nous vous aiderons ensuite à y transporter la fille de Nelson.