Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/204

Cette page n’a pas encore été corrigée

ne devait pas me suivre jusqu’au tombeau… Hélas, l’expiation est bien rigoureuse !

« Mon ami, ajouta-t-elle, j’ai souffert cruellement durant les jours qui viennent de se passer. Tu me vois faible et languissante !… c’est que je n’ai point de repos… Ah ! quel supplice de ne pouvoir dormir ! quelquefois il me semble qu’enfin le sommeil va s’emparer de moi ! alors je m’abandonne à lui, j’invoque sa puissance, je bénis sa main qui s’étend sur moi… déjà la moitié de mon être lui appartient et revient à la vie par un néant passager… l’autre est près de m’échapper aussi ; mais, à l’instant où je vais trouver le calme en perdant la pensée, je ne sais quel aiguillon cruel enfoncé dans mon corps me réveille subitement par la douleur, et, quand j’atteins le but, me replonge au fond de l’abîme…

— « Mon Dieu ! m’écriai-je en écoutant ce triste récit, je voyais tes douleurs ; mais, ô ma bien-aimée, que j’étais loin de les croire aussi cruelles ! Pourquoi donc m’as-tu si long-temps caché la vérité ?

— « Hélas ! mon ami, me répondit Marie, fallait-il te jeter dans le désespoir en te demandant un secours que tu ne pouvais me donner ?… Oui, je sens la vie se retirer de moi… mais je te le jure, Ludovic, tous ces mots ne sont rien, comparés aux tortures que mon âme éprouve… Mon supplice, c’est d’avoir eu l’idée du bonheur qui m’échappe et que j’ai vu si près de moi… c’est d’abandonner à jamais une espérance si folle, mais si chère ! et puis le chagrin qui, dans mon cœur, surpasse tous les autres, c’est de voir à quel degré de misère ma funeste fortune te réduit !…

« Ludovic, pardonne-moi si je te parle ainsi : c’est que bientôt… »

Elle s’interrompit : je vis son regard se troubler, ses yeux, errants comme au hasard à l’entour d’elle, s’arrêtèrent tout à-coup, puis une extrême agitation ayant succédé à cet instant de repos, sa pensée se réveilla pour s’égarer dans le délire…

Tandis que cette scène déchirante jetait dans mon âme la stupeur et le désespoir, j’entendais au dehors les premiers bruits de l’orage qui se déclarait dans les airs ; des grondements lointains, d’abord faibles et croissant par degrés, annonçaient l’approche de la tempête ; déjà les vents sifflaient