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aussi Marie aurait un asile mieux défendu contre les injures du dehors. Tout son mal provenait sans doute d’une suite de jours écoulés sans repos ni sommeil, et céderait à quelques nuits de paix profonde… et alors combien nous serions heureux ?

Cependant c’était déjà un grand malheur que ce trouble des premiers jours qui nous enlevait le charme inestimable des premières impressions.

Etrange aveuglement ! ma plus grande peine n’était pas de prévoir des infortunes, mais d’avoir perdu des joies !

Je contemplai en face les obstacles que j’avais à vaincre, et m’armai, pour les combattre, de cette énergie morale que donne seule la foi dans le succès.

Je travaillais à notre cabane pendant tout le temps que je ne passais pas auprès de Marie.

J’étais secondé dans ma tâche par Ovasco, dont le dévouement ne saurait se décrire. Ce fidèle serviteur semblait se multiplier lui-même pour faire face à toutes les difficultés.

Au milieu de ces rudes travaux et des sueurs qu’ils me coûtaient, je trouvais un charme secret à penser que tout, dans notre bonheur, serait mon ouvrage.

Cependant, quels que fussent mes efforts, l’œuvre que j’avais entreprise demandait plus de temps que je ne pensais. L’état de Marie devenait plus alarmant ; son pouls annonçait une agitation croissante. Elle ne faisait pas entendre une seule plainte ; mais, sous le voile du sourire errant sur ses lèvres, il était facile d’apercevoir un sentiment de tristesse profonde.

Elle me dit un jour avec tendresse : « Ludovic, tu prends bien de la peine pour préparer notre demeure ? »

Une autre fois : « Tu me quittes, me dit-elle, pour travailler à la chaumière… Ah ! je t’en conjure, reste près de moi… qui sait l’avenir ? »

Je repoussai loin de moi l’affreuse pensée dont ces paroles contenaient le germe. Cependant le changement de saison vint aggraver mes inquiétudes et mes tourments… Dix jours environ s’étaient écoulés depuis notre arrivée à Saginaw, et les chaleurs du mois de juin commençaient à se faire sentir. Pénétrée par les rayons d’un soleil brûlant, assaillie par des nuées de moucherons dont une température embrasée semblait