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je les voyais tantôt sous les traits d’une hyène dévorante, tantôt sous la forme d’un hideux reptile. Les uns, avides de meurtres et de sang, attendent leur proie au passage… mon Dieu ! s’ils allaient s’élancer sur Marie ! Les autres se suspendent aux rameaux des arbres ; ils tomberont comme la foudre sur celle que j’aime et prendront sa vie avant que je l’aie seulement défendue. Et j’inventais mille autres chimères si faciles à créer quand on a l’âme saisie d’une grande douleur et l’imagination engagée dans des régions inconnues. Les heures s’écoulent, la nuit s’avance, nos chevaux ralentissent leur marche, la fraîcheur s’élève de la terre… Marie gardait un silence profond qui redoublait mes angoisses. Je prends sa main ; je la trouve brûlante : « Mon ami, me dit-elle d’une voix à demi éteinte, n’allons pas plus loin ; je me sens mourir… »

À ces mots, mon cœur se brisa ; je ne sais quelle résolution insensée allait sortir de mon désespoir, lorsque notre guide s’arrête tout-à-coup et crie trois fois : Saginaw ! Ce cri, jeté dans le désert, y trouve un long retentissement et nous revient répété par mille échos ; le premier tumultueux, le second moins fort, suivi de plus faibles encore. La forêt cesse tout-à-coup ; nous entrons dans une prairie, nous y marchons quelque temps en descendant une pente presque insensible. Enfin nous voyons le bord d’une large rivière : celle rivière était la Saginaw, et le bord opposé, l’asile que nous cherchions.



LE DRAME.

« O mon Dieu ! quel bonheur ! s’écria Marie en voyant le rivage. Son énergie morale eût été incapable d’un plus long effort. Je la saisis dans mes bras et la déposai dans une pirogue indienne ; je me plaçai près d’elle comme j’étais en passant la rivière des Sables. « Mon ami, me dit alors Marie