Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Alors il s’était mis à l’œuvre... Mais bientôt il avait été seul au travail. Les plus hardis novateurs étaient devenus subitement des hommes prudents et circonspects. Les apôtres de liberté prêchaient la servitude : il s’en trouvait d’assez cyniques pour se vanter de l’apostasie comme d’une vertu.

Dégoûté du monde politique, il essaya de se créer une existence industrielle ; mais la fortune ne lui fut point propice.... À l’âge de vingt-cinq ans il se trouva sans carrière, n’ayant dans l’avenir d’autre chance que le partage d’un modique patrimoine. Un jour donc, repoussant du pied sa terre natale, il monta sur un vaisseau qui du Havre le conduisit à New-York.

Il ne fit point un long séjour dans cette ville ; il n’y passa que le temps nécessaire pour s’enquérir de la route à suivre afin de pénétrer dans l’ouest.

Les uns lui conseillaient de se rendre dans l’Ohio, où, disaient-ils, l’on vit mieux à bon marché que dans aucun autre État ; ceux-la lui recommandaient Illinois et Indiana, où il achèterait à vil prix les terres les plus fertiles de la vallée du Mississipi. Un autre lui dit : « Vous êtes Français et catholique ; pourquoi ne pas aller dans le Michigan, dont les habitants, Canadiens d’origine, parlent votre langue et pratiquent votre religion ? »

Le voyageur préféra ce dernier conseil, dont l’execution était d’autant plus facile que, pour se rendre dans le Michigan, il n’avait qu’à suivre le courant de l’émigration européenne, alors dirigée de ce côté.

Il remonta la rivière du Nord qui coule majestueuse entre deux chaînes de montagnes, passa par une infinité de petites villes qui portent de grands noms, telles que Rome, Utique, Syracuse, Waterloo. Après avoir traversé le lac Érié, long de cent lieues, et franchi le détroit *, il vit s’étendre devant lui l’immense plaine du lac Huron, fameux par la pureté de ses ondes et par ses îles consacrées au grand Manitou ; et côtoyant la rive gauche de ce lac, il pénétra dans l’intérieur du Michigan par la grande baie de Saginaw, en remontant la rivière dont cette baie tire son nom.

Les bords de la Saginaw sont plats comme toutes les terres qui avoisinent les grands lacs de l’Amérique du Nord ; ses