Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/187

Cette page n’a pas encore été corrigée

mouvement qui se fit autour de moi ; veille silencieuse qui fit apparaître à mes yeux, comme des fantômes, les souvenirs de ma jeunesse, mes ambitions, mes vastes desseins, les grandeurs et les misères de ma vie, les illusions avec les désenchantements, les amours avec les espérances ; veille presque fébrile, durant laquelle l’imagination va mille fois du passé à l’avenir, du désespoir au bonheur, de la sagesse à la folie ; et ne s’arrête qu’à l’instant où, dominée par l’ascendant d’un pouvoir irrésistible, la pensée chancelle, fléchit par degrés, se relève avec effort, puis retombe et va mourir enfin dans la nuit du sommeil…

Avant que mes paupières se fussent affaissées, j’avais remarqué que le repos de Marie était troublé par des mouvements soudains, des tressaillements, des paroles entrecoupées. Le matin elle se réveilla en sursaut. Son premier mouvement fut de ressaisir ma main qu’elle avait abandonnée en dormant. Ce geste me tira moi-même de mon assoupissement, et, en revoyant Marie, que je n’avais pas eu la force de veiller une nuit entière, je compris toute l’impuissance de la volonté.

Marie était triste et pensive : « Mon ami, me dit-elle, si je n’étais près de toi, je craindrais de grands malheurs… car j’ai eu des songes terribles. »

Je remarquai avec chagrin que la nuit ne l’avait point reposée… et l’agitation extrême de son sang me fit penser que la fièvre l’avait saisie… Que faire ? Demeurer dans cette cabane solitaire ! Nous arrêter si près du but ! il ne nous fallait plus qu’un jour de voyage. Le soir nous arriverions à Saginaw pour y rester toujours. Ne devions-nous pas, à tout prix, gagner ce lieu de repos, qui rendrait à Marie ses forces, et verrait commencer notre bonheur ? Je dis mes pensées à Marie. « Oui, me répondit-elle, oh ! oui, allons vite à Saginaw… c’est là que nous serons heureux,… tu me l’as promis… »

Nous partîmes à l’heure où la nature a coutume de retrouver la voix avec la lumière ;… mais une nouvelle scène nous réservait de nouvelles impressions… Avant d’arriver à la rivière des Sables, nous avions parcouru de sauvages solitudes ; après l’avoir quittée, nous entrâmes véritablement dans le