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entre le monde civilisé et la nature sauvage ; c’est le point où finit la société américaine et où commence le monde indien.

Placé sur la limite de ces deux mondes, on les voit face à face ; ils se touchent et n’ont rien de semblable.

J’avais toujours pensé qu’en m’éloignant des grandes cités pour me rapprocher des forêts solitaires, je verrais la civilisation décroître insensiblement, et, s’affaiblissant peu à peu, se lier par un chaînon presque imperceptible à la vie sauvage qui serait comme le point de départ d’un état social dont nos lumières et nos mœurs seraient le progrès ou le terme. Mais entre New-York et les grands lacs, j’ai vainement cherché dans la société américaine ces degrés intermédiaires. Partout les mêmes hommes, les mêmes passions, les mêmes mœurs ; partout les mêmes lumières et les mêmes ombres. * Chose étrange ! la nation américaine se recrute chez tous les peuples de la terre, et nul ne présente dans son ensemble une pareille uniformité de traits et de caractères. **

[Note de l’auteur. * et ** Réf. ]

Jusqu’à ce moment, Marie avait supporté la route sans se plaindre d’aucune fatigue ; mais comme nous arrivions à Détroit, son visage portait l’empreinte d’une altération qu’il lui était impossible de dissimuler ; elle nous fit l’aveu qu’elle avait besoin de repos : nous descendîmes à terre.

Cependant le bateau à vapeur ne s’était approché du port que pour renouveler sa provision de vivres et de bois, et déjà la cloche du départ se faisait entendre. Nelson nous dit : « Mes enfants, demeurez ici tout le temps qui sera nécessaire pour rendre à Marie ses forces ; gardez avec vous Ovasco, dont les services vous seront utiles. Je vous précéderai de quelques jours à Saginaw. Le pays qui porte ce nom est, dit-on, riant et fertile ; mais il est encore sauvage. J’y préparerai votre asile, et le jour de votre arrivée sera celui de votre hymen ; moi-même je vous unirai, nos lois m’en donnent le pouvoir. *** Là, du moins, mon cher Ludovic, vous pourrez aimer la pauvre fille de couleur sans craindre les révélations perfides, sans encourir les mépris et les haines. »

[Note de l’auteur. *** Réf. ]

Ainsi parla Nelson ; ces paroles étaient touchantes, et chacun de nous fut attendri ; Nelson me dit encore en se séparant de nous : « Je confie à votre honneur Marie, ma fille bien-aimée ; elle n’osait prétendre à votre amour, elle a