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Cependant d’autres émotions agitaient mon cœur. Chaque fois que j’apercevais une forêt bien sombre, un joli vallon, un lac et ses charmants rivages, j’éprouvais la tentation de m’y arrêter. « Ici, me disais-je, avec Marie, je vivrais heureux : pourquoi donc aller plus loin ? »

Un jour, passant auprès du lac Onéida, non loin de Syracuse et de Cicero, je vis une petite île dont l’aspect fit tressaillir mon cœur. Elle occupe le milieu du lac : assez grande pour servir d’asile à une famille, elle n’en pourrait recevoir deux : on y trouverait ainsi un isolement assuré. Il me sembla que la nature ne m’avait jamais offert un spectacle plus ravissant. L’île enchantait mes regards par la fraîcheur de sa végétation, par la richesse et la variété de ses feuillages ; et les eaux qui l’entouraient reflétaient dans leur cristal argenté, sur un fond de ciel bleu, ses contours pleins de grâce, ses touffes d’arbres fleuris et ses massifs de verdure. « C’est, me dit-on, l’île du Français. » * N’était-ce point la retraite que je cherchais ? Non : les bords du lac sont envahis par les Européens. Là, plus d’Indiens hospitaliers, mais des Américains aubergistes. Ces hôteliers ont pour domestiques des nègres ; et ces nègres, qui sont voués au mépris public parce que la domesticité est leur partage exclusif, se trouvent là comme pour attester, jusque sur les limites du désert, l’existence du préjugé dont ils sont les victimes, et l’éternelle barrière qui sépare les deux races.

[Note de l’auteur. * Réf. ]

Le voisinage des hommes nous repoussait ; il fallait aller plus loin.

En arrivant à Buffaloe, nous apprîmes un événement qui remplit de joie l’âme de Nelson. On nous dit que, sur le port, il y avait, prêts à s’embarquer pour le Michigan, six cents Indiens nouvellement arrivés de la Géorgie. Ils étaient de la tribu des Cherokis ; un agent du gouvernement central les accompagnait, chargé de les conduire à leur nouvelle destination. Nelson ne tarda pas à reconnaître en eux les infortunés pour lesquels il avait, peu de temps auparavant, donné sa liberté, et que la cupidité américaine condamnait à l’exil, à l’époque même où de cruels préjugés le contraignaient, lui et sa famille, de quitter Baltimore. Les principaux parmi les Indiens avaient vu Nelson en Géorgie, et tous se rappelèrent