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L’idée du désert me vint de la mélancolie ; cependant elle offrit à mon âme l’image d’une douce félicité.

Je dis à Marie cette impression avec une abondance de sentiments et un excès de tendresse que j’essaierais vainement de vous dépeindre : le cœur trouve, dans ses efforts d’espérance, des expressions qui ne sont point de l’homme ; mais le feu de ce divin langage s’éteint en lui, lorsque, de l’Eden céleste vers lequel elle s’était élancée, l’âme est retombée dans la vallée de larmes…

Pendant que je parlais, Marie semblait m’écouter avec ravissement ; nos cœurs étaient toujours de concert, et son imagination avait compris la mienne. Quand je lui dis ces mots « Voudrais-tu me suivre au désert ? » — « Oh ! mon ami, s’écria-t-elle, comme la vie s’écoulerait pour moi douce et tranquille, partout où je ne verrais que toi ! ! » — Et, comme si un remords fût entré dans son âme, elle reprit bientôt : « La solitude me convient, à moi, pauvre fille maudite des hommes et de Dieu ; mais vous, Ludovic, n’est-ce pas trop sacrifier que de quitter ce monde ? »

Alors j’essayai de convaincre Marie du peu que je perdais en m’éloignant des hommes. Passer mes jours avec elle seule, loin des sociétés que je haïssais, me semblait un bonheur au-delà duquel je ne concevais rien qui fût désirable. Pour apaiser ses scrupules, je ne lui fis aucune peinture exagérée de mon amour : je lui montrai mon cœur à découvert. « Tu crois, lui dis-je, ô ma bien-aimée ! que je t’offre un sacrifice… détrompe toi. Cette retraite vers la forêt solitaire où nous jouirons d’une si douce félicité, n’est pas seulement selon mon cœur ; ma raison elle-même l’approuve. Je suis dégoûté des hommes d’Europe et de leur civilisation. Dans les contrées sauvages où nous irons, nous trouverons d’autres hommes qui ne sont ni polis ni savants, mais aussi ne connaissent rien aux arts de l’oppression et de la tyrannie. Nous appelons ces Indiens des sauvages parce qu’ils n’ont point nos talents ; mais quel nom nous donnent-ils, eux qui ne possèdent point nos vices ? C’est au sein de leurs forêts que nous admirerons l’homme dans sa dignité primitive.

« La vie civilisée est une vie de force collective et de faiblesse