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J’atteste le ciel qu’en présence d’une si touchante infortune, mon cœur ne chancela pas un seul instant ; pour être fidèle au malheur, je n’eus aucun combat intérieur à soutenir. Je sentis se resserrer plus fortement dans mon âme le lien qui m’unissait à Marie. Cet accroissement de tendresse et d’amour se mêlait d’une indignation si profonde contre les auteurs du mal dont la victime était sous mes yeux, que je ne pus contenir l’expression de ce dernier sentiment.

Voilà donc, m’écriai-je, le peuple objet de mes admirations et de mes sympathies ! fanatique de liberté et prodigue de servitude ! discourant sur l’égalité parmi trois millions d’esclaves ; proscrivant les distinctions, et fier de sa couleur blanche comme d’une noblesse ; esprit fort et philosophe pour condamner les priviléges de la naissance, et stupide observateur des priviléges de la peau ! Dans le Nord, orgueilleux de son travail ; dans le Sud, glorieux de son oisiveté ; réunissant en lui, par une monstrueuse alliance, les vertus et les vices les plus incompatibles, la pureté des mœurs et le vil intérêt, la religion et la soif de l’or, la morale et la banqueroute !

Peuple homme d’affaires qui se croit honnête parce qu’il est légal ; sage, parce qu’il est habile ; vertueux, parce qu’il est rangé ! Sa probité, c’est la ruse soutenue du droit, l’usurpation sans violence, l’indélicatesse sans crime. Vous ne le verrez point armé du poignard qui tue ; son arme à lui, c’est l’astuce, la fraude, la mauvaise foi, avec lesquelles on s’enrichit… Il parle d’honneur et de loyauté comme font les marchands ! mais voyez quelle hypocrisie jusque dans ses bienfaits ! il convie à l’indépendance toute une race malheureuse ; et ces nègres qu’il affranchit, il leur inflige, au sortir des fers, une persécution plus cruelle que l’esclavage.

Ainsi s’emportait ma colère ; j’en arrêtai les élans à l’aspect de Marie, dont l’abattement était extrême. Après avoir exhalé ses ressentiments, mon cœur ne contenait plus que de l’amour, et je ne crus pouvoir mieux l’exprimer qu’en adressant ce peu de mots à Nelson : « Le temps d’épreuve n’est pas encore écoulé, veuillez me faire grâce de ce qui reste et souffrir que je devienne l’époux de Marie.

— « Dieu puissant ! s’écria l’Américain non sans quelque émotion,