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qu’elle n’avait plus d’amour, puisqu’elle n’avait point de colère ; et, sans avoir la hardiesse de dire un seul mot, il fit une profonde révérence, et se retira la rage dans le cœur.

Voilà donc la marquise rendue à elle-même, et, par conséquent, convaincue que le bonheur ne pouvait se trouver nulle part, puisqu’elle ne l’avait point rencontré malgré ses recherches. Elle passa plusieurs mois dans un ennui insupportable, parce qu’elle n’avait rien mis dans son cœur à la place de cette passion tumultueuse qui l’avait occupé, remué, secoué. Un jour qu’elle allait à l’église, elle vit à la porte une vieille femme qui avait deux enfans, et qui demandait l’aumône : la beauté de ces enfans frappa la marquise ; elle demanda à cette femme s’ils étaient à elle. Non, madame lui répondit-elle ; ils étaient nés pour être mes maîtres. Cette réponse excita la curiosité de la marquise qui, ayant donné son adresse à cette femme, la pria de venir chez elle