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et qui ne fait de mal à personne, il se trouve être malheureusement du caractère de son chat, le plus doux animal du monde, mais qui ne peut s’empêcher d’égratigner lorsqu’on lui marche sur la patte avec un dessein prémédité de lui faire du mal.

LETTRE AU BARON DE BRETEUIL 11

Monsieur le baron,

Si vous n’étiez pas juge suprême, comme ministre de Paris, des objets qui composent la décence théâtrale, vous seriez encore, en votre qualité d’homme plein de lumières et de goût, le premier censeur que j’aurais désiré d’obtenir pour la comédie du Mariage de Figaro, que M. Le Noir veut bien vous présenter en mon nom.

Avant que de lire les quatre censures que la pièce a déjà subies, et que je prie M. Le Noir de mettre sous vos yeux, et dont trois la réclament pour le théâtre, je vous supplie de peser les respectueuses observations que j’ai l’honneur de vous soumettre ici.

Mon amour pour le théâtre français m’a toujours fait chercher les causes de la langueur où il s’endort depuis longtemps. D’une part, j'ai vu la paresseuse cupidité des comédiens ; de l’autre, les entraves de fer dont on garrotte à présent le génie. Un second théâtre français est l’unique remède au premier mal (toute la littérature demande ce théâtre ; et le coup d’œil éclairé d’un ministre ami des arts sur les productions théâtrales est seul capable de réparer le second en rendant au génie dégoûté l’émulation qu’il n’a plus, et qui le fait fuir un genre de conception qui n’enfante pour lui que des couleuvres.

À force de devenir délicats et fins connaisseurs, et d’affecter l’hypocrisie de la décence auprès du relâchement des mœurs, nous sommes devenus des bégueules rassasiées qui ne savent plus ni ce qu’elles veulent ni ce qu’elles aiment. Les mots bon ton, bonne compagnie, dont la latitude est si grande qu’on ne sait où ils commencent et finissent, ont détruit la franche et bonne gaieté qui

11. Document très-intéressant encore pour l’histoire du Mariage de Figaro. Comme celui qui précède, et dont il était la suite naturelle, il est inédit, sauf quelques parties, citées çà et là par M. de Loménie, t. II, p. 294, 30G, 31 2, 31 i, 319. Il en avail trouvé ! • "l dans les papiers de la famille. C’est sur l’autographe même de la larchais, tout vibrant encore de l’inspiration première, par le caractère heurté de l’écriture et la violence des ratures, que nous le publions. Ce très-précieux autographe, le plus importanl sans contredit que l’on possède de Beaumarchais, se trouve dans le tome V de ses Manuscrits, à la Comédie-Française. N’"n— ajoute| |u’parlie de cette lettre, destinée au seul baron de Breteuil, servit plus tard de base d’argumentation, avec de simples dificatious de teite, à un travail qu’une tout autre publicité attendait la préface du Mariage de Figaro. Beaumarchais aimait à remettre au grand jour ce que ses combats avec les ministres aurait ni pu lui faire perdre dans le désert des antichambres. Ed. F

distinguait de tout autre le comique de notre nation. Ensuite les mots décence et bonnes mœurs, qui donnent un air si important et si digne à nos jugeurs de comédie, qu’ils seraient désolés de n’avoir pas à les prononcer sur toutes les pièces, ont porté le dernier coup a la vigueur de l’intrigue dramatique, sans laquelle il n’y a jamais que de l’esprit à la glace et des comédies de quatre jours. Enfin tous les états de la société sont parvenus à se soustraire à la censure dramatique. On ne pourrait offrir au théâtre les Plaideurs, de Racine, sans entendre aujourd’hui tout ce qui porte une robe s’écrier qu’il n’y a plus de respect pour les lois et les magistrats.

On ne ferait point le Turcaret, de Le Sage, sans avoir à l’instant sur les bras le corps entier de la finance ; les Marquis de Molière, sans révolter toute la noblesse. Ainsi l’auteur qui se compromet avec le public pour l’amuser ou pour l’instruire, au lieu d’intriguer son ouvrage à son choix, est obligé de travailler entre des incidents impossibles, de persifler au lieu de rire, et de prendre ses modèles hors de la société, crainte de se trouver mille ennemis, dont il ne connaissait aucun en faisant son travail.

J’ai donc pensé que si quelqu’auteur courageux ne secouait pas toute cette poussière, bientôt l’ennui des pièces françaises jetterait tout le monde à l’opéra-comique et même aux boulevards, où, par un singulier contraste, la liberté bannie du théâtre français s’y change en une licence effrénée, où nos jeunes gens vont réellement perdre et leur goût et leurs mœurs. J’ai tenté d’être cet auteur. Si je n’ai pas mis plus de talent à mes ouvrages, au moins mon intention s’est-elle manifestée dans tous.

J’ai toujours pensé qu’on n’obtenait au théâtre ni grand pathétique, ni moralité, ni bon comique, sans des situations tories qui ne peuvent naître que de quelque disconvenance sociale dans le sujet qu’on traite. La tragédie se les permet souvent jusqu’aux crimes atroces : les conspirations, les usurpations du trône, le meurtre, l’empoisonneni, l’inceste comme dans Œdipe, le fratricide dans Vendôme, le parricide dans Mahomet, le régicide dans Macbeth, etc., etc. La comédie est plus modérée sur les disconvenances, parce que les sujets en sont tirés de nos mœurs. Mais comment frapper sur l’avarice, si l’on ne met en action un vicieux avare ? Sur l’hypocrisie, sans montrer, comme dit Orgon dans le Tartuffe, un lâche hypocrite épousant sa fille et convoitant sa femme ? Un homme à bonnes fortunes, sans le faire parcourir au cercle de galantes femelles ? Un joueur effréné, sans l’enveloppe de fripon, s’il ne l’est pas déjà lui-même ?

Ce n’est donc pas le vice, ni les événements qu’il entraîne qui font l’indécence théâtrale, c’est la critique ou la moralité qu’un auteur faible ou